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  • Annie Ernaux
  • Elise Hugueny-Léger

En plus de quarante ans, la production d’Annie Ernaux s’est graduellement développée et installée dans la critique journalistique et universitaire, pour devenir une référence incontournable de la littérature française contemporaine, dont les livres sont étudiés du collège à l’université, en France, dans le milieu anglophone, et audelà. Ernaux jouit désormais d’un statut rarement remis en question, qui est consolidé par le nombre important de travaux universitaires et colloques qui lui sont consacrés et par l’intérêt que les médias lui portent.

L’objet de cet état présent n’est pas de recenser toutes les études parues qui portent, partiellement ou non, sur l’œuvre d’Ernaux.1 Mon but est plutôt de jeter un regard critique sur la manière dont les textes de cette auteure contemporaine, écrivant sur des sujets ayant souvent trait au domaine de l’intime, sont reçus et analysés. Après un survol de l’évolution de la critique et de la réception de ses textes jusqu’à l’aube des années 2000, je m’attacherai à identifier les tendances thématiques et théoriques privilégiées par la critique ernausienne2 dans les quinze dernières années. Afin de fournir un état des lieux assez large, je ne me cantonnerai pas à la critique universitaire et inclurai également un aperçu de la réception médiatique, puisque les deux types de critiques peuvent s’influencer mutuellement et que la place d’un écrivain contemporain dans le champ littéraire et culturel dépend aussi de sa présence (ou non) dans les médias.

Survol critique, 1974–19993

En 1974 paraissait le premier livre d’Ernaux: Les Armoires vides,4 roman à la premiè re personne dans lequel une jeune femme, Denise Lesur, qui venait de subir un avortement clandestin, faisait retour sur son parcours, d’un milieu ouvrier [End Page 256] modeste à un milieu étudiant petit-bourgeois et cultivé. Avec ce livre, Ernaux entrait sans aucun compromis sur la scène littéraire, avec une langue virulente dont les critiques notaient les accents céliniens, et avec une acuité sur ce qui constitue le social, l’année même où l’avortement était sujet de débats passionnés à l’Assemblée nationale avant d’être légalisé par la loi Veil début 1975. Dans les années qui ont suivi, la production d’Ernaux s’est développée à un rythme régulier. La remise du prix Renaudot à La Place5 a contribué à diffuser ses textes et son image publique,6 et peu à peu, ses livres sont devenus objets d’étude dans le milieu universitaire. Ce n’est pas seulement l’attribution d’un prix mais également le tournant important effectué par Ernaux dans sa démarche littéraire qui ont contribué à sa visibilité: avec La Place, elle offrait aux lecteurs, aux chercheurs, et aux étudiants, un livre linguistiquement bien plus accessible que ses trois premiers romans (Les Armoires vides, Ce qu’ils disent ou rien, La Femme gelée),7 et porteur d’une dimension de commentaire sur les rapports sociaux en France au vingtième siècle. La Place proposait également un cas d’étude intéressant sur l’évolution de l’écriture autobiographique, à une époque clé sur le plan théorique, quand ce genre commençait enfin à dessiner ses propres contours pour mieux les effacer.8 Assez rapidement, La Place et Une femme,9 qui retracent respectivement la vie du père et de la mère de l’auteure, sont devenus des textes destinés à l’enseignement, avec un dispositif métacritique accompagnant les livres: d’abord en anglais10 puis en français,11 des éditions critiques ont paru, avec le but explicite de rendre ces livres accessibles à un public scolaire ou étudiant. Loin de représenter des versions simplifiées d’analyse de son œuvre, ce type d’études critiques, qui offrent de nombreuses pistes d’interprétation, est crucial pour démocratiser et décloisonner la réception d’une œuvre, et rendre possible l...

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