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  • Communautarisme et dualité :réflexions sur la naissance, la persistance et les potentialités d’une particularité acadienne
  • Joel Belliveau (bio)

IL EXISTE DANS LA PLUPART DES RÉGIONS FRANCOPHONES et diglossiques des Maritimes un discours cohérent et fort qui constitue le « nous » acadien. Ce discours, le plus souvent désigné comme étant « national », présente une identité culturelle ainsi qu'une mémoire bien définies. Une portion substantielle de la population s'identifie consciemment à ce discours, et encore plus de gens l'ont intériorisé sans s'en rendre compte. L'Acadie « va de soi » pour des centaines de milliers de personnes; « on » a réussi à la constituer en « communauté imaginée1 ».

Les signes de cette identité partagée sont très présents dans les régions francophones des Maritimes. Le territoire est tapissé de décorations aux motifs du drapeau acadien. Les calendriers sont pleins de manifestations culturelles distinctement acadiennes. L'actualité est réfractée par un prisme acadien doublant le discours médiatique de la majorité. Des institutions communautaires créent des espaces francophones. Le bilinguisme officiel et le principe de la « dualité linguistique » sont défendus bec et ongles. La foisonnante production musicale acadienne chante l'Acadie sur les ondes.

Oui, l'Acadie va de soi pour plusieurs. Et pourtant, une telle situation ne va pas du tout de soi pour un groupe linguistique minoritaire. J'ose même dire qu'elle est unique au sein des francophonies minoritaires du Canada, voire des minorités nationales en Amérique du Nord2.

Le communautarisme acadien se différencie certainement sur le plan quantitatif. Si l'on reprend un à un les signes que j'ai énumérés ci-dessus et qu'on les recherche à Sudbury ou dans le Nord ontarien, par exemple, on n'arrive pas aux mêmes [End Page 234] résultats : les drapeaux se font plus discrets; les festivals ont tendance à être bilingues; les médias francophones couvrent surtout l'actualité spécifiquement « francophone »; les espaces où le français est dominant sont moins nombreux, et la langue est conséquemment minorisée presque à tout moment.

Mais cette accumulation de différences quantitatives finit aussi par avoir un effet qualitatif sur le plan identitaire. En effet, « l'Ontario français » comme réalité sociale ou « les Franco-Ontariens » comme groupe culturel, cela ne va pas de soi pour la majorité des parlants français de la région. Ces derniers ont toutes les chances de considérer la culture canadienne-française comme un héritage qu'ils valorisent certes de manière variable, mais qui ne définit pas leur personne. Le français est souvent perçu comme une « langue patrimoniale » qu'on voudrait certes transmettre, mais sans nécessairement aller jusqu'à lui donner un statut d'exception. On se définit généralement avant tout comme des Nord-Ontariens, ou Sudburois, ou Canadiens, et les artistes francophones du Nord chantent davantage « le Nord » que l'Ontario français. Et pourtant, on se retrouve dans une région et une ville où plus du quart de la population est de langue maternelle française, les seules qui se comparent, sur le plan démolinguistique, au Nouveau-Brunswick et à Moncton. Ailleurs au pays, la dynamique ressemble beaucoup plus à la « nouvel-ontarienne » qu'à l'acadienne, selon mon expérience3.

Il y a donc une « différence acadienne », qui se résume, pour moi, à ceci : les communautés acadiennes sont caractérisées par un plus haut degré de communautarisme que les autres francophonies minoritaires du Canada. Par « communautarisme », terme que j'utilise sans connotation, ni positive ni négative, j'entends une propension des individus à accorder une grande importance à l'appartenance communautaire dans la définition de leur identité personnelle.

Dans cet essai, je retracerai d'abord les conditions et les moyens de l'invention et de la réinvention de ce communautarisme acadien. Puis, je lancerai des interrogations sur les « coûts-avantages » de cette vision du monde et de soi.

L'invention du communautarisme acadien à l'ère des nationalités

S'il se trouvait déjà des ingrédients propices au communautarisme en Acadie...

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