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  • Voyage colonial et images opprimantes de la femme « noire » :Ourika de Claire de Duras et certaines œuvres picturales
  • Hélène Diaz Brown (bio)

Si le voyage, pour les êtres libres, peut signifier un processus de progrès, il est, à l'époque coloniale, synonyme de conquête et de transport de biens et de personnes à des fins exploitatrices. En termes littéraires et artistiques, les voyages de type exotique constituent des images figeant les êtres dans des schémas de pensées oppressifs. Les différents volumes de l'ouvrage The Image of the Black in Western Art fournissent de nombreux exemples picturaux de sujets « noirs » liés aux voyages coloniaux. Or, ces voyages coïncident, pour la femme « noire », avec un enchaînement d'images aliénantes. Comme le disait Simone de Beauvoir dans Les Belles Images, « […] la chaîne de mensonges se perpétuerait, les belles images demeurant intactes en dépit de toutes les désillusions » (237). Si ces images coloniales, présentées officiellement comme belles, servent à révéler, une fois déconstruites, les divers ressorts de l'oppression, elles ont contribué, dans une simple contemplation dépourvue d'analyse, à intérioriser et à perpétuer des rapports de force opprimants. Le lien entre images visuelles, textes et stéréotypes, continuant jusqu'à l'époque contemporaine, est mis en évidence dans certains travaux, comme ceux de Tanisha Jackson et de George Yancy. Images littéraires et images picturales s'associent dans l'imaginaire pour soutenir une oppression continue, fondée en partie sur la pérennité [End Page 164] des images subalternes de la femme « noire » le plus souvent auprès de la femme « blanche », et constituant une sorte de banque d'images qui soutient au cours des siècles les stéréotypes aliénants. Le présent article se propose d'étudier diverses images opprimantes de la femme « noire » en prenant comme exemples une œuvre littéraire, Ourika de Claire de Duras, et quelques œuvres picturales de l'époque coloniale française.

Aux alentours de la Révolution de 1789, Ourika, l'héroïne éponyme du roman de Claire de Duras publié en 1823, subit les effets de l'aliénation raciale dans une société esclavagiste, régie par le Code noir hérité de Louis XIV. L'oppression raciale commence par le voyage forcé de l'héroïne et se poursuit dans le voyage intérieur d'Ourika, par le biais d'images imposées et intériorisées sur le plan affectif. La première partie de cette étude montrera trois effets du voyage de déportation subi par Ourika : d'abord son effacement et sa réduction à l'état d'image et d'accessoire, ensuite la manière autoritaire par laquelle elle est dépossédée de son autonomie affective, enfin son étouffement mortifère dans l'encadrement qu'elle subit. La deuxième partie continuera de se pencher sur le processus oppressif du voyage colonial par le biais des images imposées dans des portraits de l'époque coloniale. Il s'agira ainsi d'explorer, en prenant comme exemples certaines représentations picturales, la formation, tout au long des décennies, d'un enchaînement d'images abaissantes du sujet féminin « noir ». Notons que les termes de femme « noire » nécessiteraient de nombreuses distinctions relatives à la diversité des femmes d'Afrique subsaharienne, même si les guillemets pour les mots « noir » ou « blanc » sont destinés à rappeler que ces notions, fondées sur des caractéristiques phénotypiques, représentent des construits sociaux et idéologiques (Le Bihan 513).

Le voyage colonial, en particulier au XVIIIe siècle, couronne au sein du commerce triangulaire, l'essor et la richesse des grands ports négriers, entre autres français. Peu de sujets d'origine africaine accompliront le trajet des voyages négriers à destination de l'Europe, puisque les bateaux circulaient des Amériques vers l'Europe surtout pour rapporter en métropole des produits exotiques. Les sujets « noirs » rapportés ainsi n'en étaient [End Page 165] donc que plus précieux, figurant un statut social dont les uns pouvaient se vanter et que d...

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