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  • Éduquer sous contrainte. Une sociologie de la justice des mineurs by Nicolas Sallée
  • Axelle Brodiez-Dolino
Nicolas SALLÉE.–Éduquer sous contrainte. Une sociologie de la justice des mineurs, Paris, Éditions de l'EHESS, « Cas de figure », 2016, 227 p.

Cet ouvrage, issu d'une thèse de sociologie soutenue en 2012 à Nanterre, analyse les transformations d'une question en apparence pointue mais emblématique, l'encadrement de la délinquance juvénile. Il se compose de deux parties bien distinctes : la première, la plus longue, revient sur l'histoire de la protection judiciaire de la jeunesse (communément appelée « PJJ ») jusqu'à nos jours ; la seconde tire brièvement les pistes de quatre analyses de terrain.

On sait combien l'ordonnance du 2 février 1945, qui scelle la primauté de l'éducatif sur le répressif, est nodale dans cette histoire. Le secteur est en effet jusqu'alors marqué par une histoire répressive, de la « correction paternelle » aux « colonies pénitentiaires » baptisées « bagnes d'enfants ». Si la IIIe République est apparue plus progressiste (lois de 1889 relative à la protection des enfants maltraités, de 1898 sur les enfants « moralement abandonnés », de 1912 sur les tribunaux pour enfants, décret de 1935 consacrant le principe de « l'assistance éducative »), la correction paternelle ne sera légalement abandonnée qu'en 1975, tandis que les colonies pénitentiaires sont en pratique restées la norme jusqu'à la Libération. L'ordonnance de 1945 introduit une rupture d'une apparente limpidité, qui sera toutefois discutée dans les années 1990 : « tous les mineurs […] auxquels est imputée une infraction à la loi pénale […] ne pourront faire l'objet que de mesures de protection, d'éducation ou de réforme, en vertu d'un régime d'irresponsabilité pénale qui n'est susceptible de dérogation qu'à titre exceptionnel et sur décision motivée ». L'auteur retrace également les pérégrinations de la spécification de la délinquance juvénile jusqu'au début du XXe siècle, englobée dans la question plus générale de « l'anormalité ». Les médecins sont les premiers à faire bouger les lignes, en sortant l'idiotisme du champ de l'incurabilité pour le ramener dans celui de la maladie (Bourneville), en développant la psychopédagogie (Binet et Simon), en inventant la neuropsychiatrie infantile et en déplaçant son traitement sur le terrain social (Heuyer).

En 1945 donc, « l'éducation surveillée » prend une forme autonome au sein du ministère de la Justice. Les jeunes sont désormais « triés » dans des « centres d'observation » (analyse de la personnalité, situation judiciaire, passé familial, aptitudes intellectuelles et professionnelles), puis conduits en « internats de rééducation » fondés sur la formation professionnelle. « Psychologie et sociologie deviennent en quelque sorte inséparables : le jeune délinquant est moins considéré comme un "anormal" à "rééduquer" que comme un "être souffrant" qu'il convient de "réparer" par une action éducative entreprise au plus proche de son environnement » (p. 51). Le médical est désormais supplanté par les sciences humaines et sociales. Après un lent début dans les années 1950, le corps de la PJJ connaît dans les années 1960 et 1970 une importante croissance, tandis que le recentrage sur le « milieu ouvert », catalysé par l'ordonnance de 1958, lui permet de « se défaire de son dérangeant passé pénitentiaire » (p. 57) et scelle un « "âge d'or" anti-disciplinaire » (p. 68). L'irruption de la médiatique figure des « blousons noirs » conduit pourtant un temps à la réouverture d'établissements éducatifs en milieu fermé : inauguration en 1958 des centres d'observation internes aux enceintes pénitentiaires et, en 1970, des centres fermés parapénitenciaires–dont le dernier fermera toutefois en 1979.

Depuis les années 1990, un troisième temps s'est ouvert, que l'auteur qualifie « d'éducation sous contrainte » : il s'agit de plus en plus d'éduquer dans des espaces [End Page 130] d'enfermement (prisons ou centres fermés) ou en faisant usage de la menace d'enfermement. En...

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