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  • IntroductionLa culture et le tout-économique
  • Victoria Lamont (bio) and Kevin McGuirk (bio)

Le virage économique des études culturelles est marqué, sans doute, par les travaux théoriques publiés à la fin du 20e siècle par des penseurs comme Raymond Williams, Pierre Bourdieu, Rosemary Hennessy et bien d'autres. Williams a déconstruit la compréhension marxiste classique de la culture, qui en faisait une « superstructure » déterminée par la « base » économique, et montré que dans la lutte des classes, la culture jouait un rôle aussi influent que le local syndical ou les ateliers d'usine. Avec le concept de « capital culturel », Bourdieu a révélé la fonction de la culture en tant que ressource : semblable en cela aux métaux précieux ou à la nourriture, elle suscite entre les sujets des luttes, des échanges et des investissements, et son pouvoir de structurer des vies n'a rien à envier à celui du patrimoine financier. Et Hennessey, avec d'autres féministes matérialistes, a défendu l'idée que l'oppression fondée sur le sexe ne se comprend pas en dehors des systèmes économiques où elle se produit.

Même dans le domaine qui est le nôtre, celui des études littéraires étatsuniennes, l'influence de ce virage économique a été profonde. Les critiques du milieu du siècle dernier avaient localisé une forme essentialisée de « l'américanité » dans certains types (1'« Adam américain » de Lewis), certaines intrigues (la fuite de la sphère domestique de Fiedler) ou certains moments (la « Renaissance américaine » de Matthiessen) littéraires particuliers, qui existent en dehors des soucis éphémères ou les transcendent—y compris les questions économiques. Le courant matérialiste, lui, a placé les questions matérielles—questions économiques y comprises—au cœur même de sa critique, en redéfinissant les auteurs, les textes et les lecteurs comme des entités profondément enchâssées dans des idéologies, des pratiques, des institutions et des relations économiques. Parmi les conséquences remarquables de ce virage : la récupération de la culture de masse et de la culture populaire, auparavant jugées « non littéraires » à cause de la logique de marché [End Page 166] qui gouverne leur production. Et de fait, si toutes les productions textuelles sont imbriquées dans une logique et des opérations de marché, l'exclusion de la culture de masse n'a plus de sens en études littéraires. Depuis, l'histoire littéraire des États-Unis a été complètement redessinée : étudiants et chercheurs lisent désormais le roman sentimental et les fictions domestiques si populaires au 19e siècle en parallèle aux textes « classiques », ils étudient le rôle des tenants du modernisme dans le culte de la célébrité, et s'intéressent aux diverses façons dont la matérialité de l'objet—magazine bon marché, roman de poche, livre électronique—structure la production de la littérature.

Quel que soit le caractère fructueux de ces questionnements, le temps est venu, semble-t-il, de réfléchir aux éventuels inconvénients du virage matérialiste. La critique matérialiste se fonde notamment sur la prémisse suivante : la reconnaissance des croyances et des pratiques économiques profondément implantées est une condition préalable à leur démantèlement, et à la possibilité d'imaginer quelque chose de mieux [pour les remplacer]. Mais l'omniprésence de l'idéologie néolibérale en ce nouveau millénaire pointe vers la nécessité de revoir cette prémisse. Nous devons, en effet, chercher à savoir si le virage économique des études culturelles n'aurait pas eu comme conséquence involontaire d'étayer les formes mêmes de l'autorité qu'il s'était donné pour mission de défier. La crise financière de 2007-8 est un exemple de ce qui peut se produire quand le pouvoir explicatif des paradigmes économiques est tenu pour acquis. Que l'université ellemême soit plus que jamais soumise à la logique « du marché » est la preuve de l'hégémonie des théories et cat...

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