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  • Des « métaphores » des Orientaux à la « simplicité de notre langue »:Le « dernier Traducteur » de Tanzaï et l'illusoire affranchissement de la fable
  • Marie-Florence Sguaitamatti

L'œuvre romanesque de Claude Crébillon (1707-77) a donné lieu à de nombreuses études consacrées, du moins en partie, aux enjeux métafictionnels de ses textes. Cet intérêt pour la dimension métafictionnelle de l'œuvre concorde avec les remarques des contemporains de l'auteur, soulignant le fait qu'il aurait inventé un nouveau « genre » de romans.1 Il tient compte des qualités des textes de Crébillon, qui comportent tous une dimension autoréflexive et critique plus ou moins prononcée, dimension qui entre au service de l'expérimentation formelle et thématique à laquelle se livre l'auteur. Ces qualités sont notamment appréciables dans les textes qu'on pourrait qualifier de contes (Tanzaï et Néadarné, 1734; Le sopha, 1742; et Ah quel conte !, 1754), où l'auteur se sert de procédés plus déclarés pour intégrer le discours sur la fiction au sein même de la fiction, et où l'expérimentation formelle et thématique est plus patente. Cependant tous les textes de l'auteur participent de ce phénomène, que ce soit par la réflexion d'une épistolière sur les qualités de son écriture ou encore par les remarques des instances préfacielles.

Dans ce contexte, tout dispositif mettant en scène un traducteur et renvoyant à un texte-source semble inviter à une lecture tenant compte d'emblée du cadre plus vaste des pratiques métafictionnelles de l'auteur et de leurs rapports avec la production romanesque des années 1730 et 1740. Cette lecture paraît d'autant plus légitime, que le cas le plus manifeste de pseudo-traduction dans l'œuvre de Crébillon, Tanzaï et Néadarné, est l'un des textes ayant contribué à asseoir la réputation de l'auteur [End Page 718] comme créateur d'un nouveau « genre » de romans. Qui plus est, la dimension autoréflexive et critique de ce conte est particulièrement développée. À son statut de texte traduit s'allient la fiction du document perdu, le mélange générique, le pastiche littéraire et le procédé des interventions du narrateur et des personnages commentant la manière de narrer. Le registre global est ludique : à aucun moment le lecteur n'est censé adhérer à la fiction de la source chéchianienne, tandis que le fameux pastiche de Marivaux maintient l'ambiguïté entre hommage et moquerie.2 Ces procédés métafictionnels sont de plus étroitement liés à la satire religieuse, politique et sociale qui provoqua le scandale et l'emprisonnement de l'auteur à Vincennes.

Il est donc pertinent de lire la scénographie3 de la pseudotraduction dans Tanzaï comme un aspect de la réflexion sur le statut de la fiction et sur son rapport avec les notions de vraisemblable et de vérité. Tout comme il est pertinent de rappeler que cette scénographie comporte l'évocation ludique de procédés de déresponsabilisation de l'auteur, fréquents dans les textes satiriques. Pourtant, une lecture du texte qui prendrait la scénographie de la pseudotraduction comme point de départ, la mettant d'abord en rapport avec d'autres cas de traduction/pseudotraduction dans l'œuvre de Crébillon et avec l'imaginaire de la traduction de l'époque, permettrait de mieux saisir l'apport spécifique de ce dispositif au discours sur l'homme et sur la fiction véhiculé par le texte. Plus particulièrement, une telle lecture permettrait d'analyser le rôle de l'altérité culturelle dans ce discours.

Traduction et pseudotraduction dans l'œuvre de Crébillon

Si le cas de Tanzaï et Néadarné (dont le statut de traduction est longuement commenté dans une « Préface » de trois chapitres) s'impose probablement d'emblée à l'esprit du lecteur de Crébillon, il faut toutefois noter que presque la moitié de ses textes se présentent implicitement ou explicitement comme étant traduits. C'est le...

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