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  • Doxa/paradoxaRoland Barthes et l'engagement hors-scène
  • Cecilia Benaglia (bio)

Dans « La mythologie aujourd'hui », texte écrit en 1971, Barthes revient sur l'entreprise de lecture qu'il a entamée à la fin des années 1950, en proposant une mise au point du travail du mythologue. Après la publication de Mythologies, il a été forcé de constater le développement d'une doxa qui a transformé en discours mythique la dénonciation elle-même. L'activité consistant à « rectifier » un mythe contemporain a perdu son pouvoir de contestation car elle a été récupérée par la société « bourgeoise », dont il parle par ailleurs comme d'une société anonyme, comme l'expression d'une classe sociale « qui ne veut pas être nommée1 ». L'esprit militant du mythologue se jetant dans le monde pour dévoiler la fausse nature des images, en les présentant comme historiquement fondées, s'il n'a pas perdu sa validité, ne [End Page 829] constitue désormais que le début d'un travail beaucoup plus long. Car, Barthes écrit, « ce qui a changé depuis quinze ans, c'est la science de la lecture, sous le regard de laquelle le mythe […] devient un autre objet2 ». La sémiologie, qui dans les années 1950 n'était pas encore constituée, a donc évolué en apportant à la mythologie une « rectification » : l'objectif n'est plus de démasquer le mythe, n'est plus tant d'opérer l'analyse du signe, que d'opérer de l'un et l'autre la « dislocation ».

Cette rectification n'a visiblement pas apporté, toutefois, une solution durable, puisque la « secousse » constituée par le développement de cette nouvelle science était condamnée à son tour à la récupération. En 1975, dans Roland Barthes par Roland Barthes, Barthes reprend ainsi, en le prolongeant, le bilan entamé quelques années auparavant : on a remplacé la mythologie par la science sémiologique, jusqu'au moment où celle-ci s'est révélée à son tour intenable. La « théorie du Texte » s'est dégagée ensuite de la sémiologie, jusqu'à devenir elle aussi, à son tour, une nouvelle doxa. Y a t-il une sortie de ce cycle infini de récupérations? Quelle doit être la place de l'intellectuel au milieu de ce scénario répétitif? La réponse de Barthes, on le sait, est que le seul choix possible est le déplacement constant ; ne jamais rester dans une position trop longtemps, ne jamais « s'immobiliser ».

Mais ce qui importe également à l'intellectuel de préciser est la localisation de sa position, car celle-ci, en plus qu'être en un mouvement constant, doit être toujours, Barthes nous dit, hors-scène. Portons notre attention sur ce point, à partir d'une déclaration d'intentions que l'on trouve dans le texte de 1971 cité plus haut. Ce qu'il s'agit de faire aujourd'hui, nous dit Barthes, n'est pas de « changer ou purifier les symboles, mais [de] contester le symbolique lui-même3 ». On pourrait donc résumer le problème de la récupération par la question suivante : comment ne pas tomber dans le piège du symbolique, comment rester en dehors? Mais cette question en suscite immédiatement une autre, à savoir, qu'est-ce qu'on entend par symbolique et pourquoi faut-il s'y soustraire?

C'est en esquissant une confrontation avec les travaux de l'historien de l'art et philosophe Louis Marin, qui ont en leur centre l'étude de la représentation, que nous voudrions proposer une réponse. Si le [End Page 830] terme « représentation » n'est pas parmi les plus utilisés par Barthes4, il apparaît toutefois régulièrement en relation avec le mythe, qu'il définit comme une « représentation collective », en reprenant le concept d'Émile Durkheim. Dans une acception tout à fait similaire, Louis Marin étudie cette notion à partir du XVIIe siècle français en s'intéressant en particulier aux usages politiques que l'état monarchique en fait. Selon...

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