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Revue canadienne d’études américaines 32 (2002) 209 Life’s America: Étude d’un ensemble photographique légué par Mell Kilpatrick1 Romaric Vinet-Kammerer« The visual is essentially pornographic […] » (Jameson 1)« Welcome. » La photographie cadre un pas de porte et les quelques marches de ciment qui y mènent. Sur celles-ci, un paillasson maculé du sang qui s’écoule sous le seuil souhaite la bienvenue aux visiteurs… Cette murder scene condense l’esprit des instants pétrifiés par Mell Kilpatrick (1902–1962), reporter photographe américain qui, en se faisant le chroniqueur méticuleux des faits divers se produisant dans le comté d’Orange, à Los Angeles2, nous livre une vision inquiétante des années 1940 et 1950. À la manière de Weegee qui, dans les années 1930, traquait infatigablement les drames de la nuit new-yorkaise, Kilpatrick trouve ses sujets au gré de voyages nocturnes sur les routes de la Californie du sud. Équipé d’un appareil Speed Graphic et d’une radio à ondes courtes lui permettant d’entendre les appels de la police et des ambulanciers, il couvre la dimension la plus sombre de l’actualité locale. L’ensemble qu’il nous lègue se compose de scènes de meurtres et de suicides, mais surtout d’une vaste série d’accidents de voitures dont il a été témoin alors que, faisant ses premières armes comme photographe, il travaillait pour le compte de compagnies d’assurance et de la police routière. Le terrain de prédilection de Kilpatrick: la nationale qui longe le Pacifique, Newport, les champs pétrolifères de Long Beach. Une région où s’étaient établies les nouvelles classes moyennes des lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Traversé par des routes récemment construites, ce secteur était aussi l’aire de récréation des militaires de la base aéronavale d’El Toro qui venaient, durant leurs temps libres s’y griser de vitesse. Ce sont les nouveaux tourments de cette Amérique (et le point de vue californien est certainement le plus pertinent) qui communie dans le culte de l’automobile que le reporter répertorie à la nuit tombée. Il réunit ainsi une galerie dont Canadian Review of American Studies 32 (2002) 210 l’extrême brutalité constitue une réponse hagarde à l’iconographie pimpante des États-Unis des années 1940 et 1950. Exploitant un motif à la fois central (la culture automobile de l’aprèsguerre ) et underground (la mort violente dans une société qui prône l’optimisme ), le travail de Mell Kilpatrick offre une source de réflexion complexe sur les ambiguïtés de la culture américaine à l’égard de ses marges. L’Amérique de Mell Kilpatrick« The population of southern California is by all odds the most automobile conscious in the world ; most people, if they had to choose between a house and a car, would probably choose the car […]. » (Gunther 45.) Au moment où Mell Kilpatrick sillonne les artères de la Californie du sud, cette observation de John Gunther a déjà pris un caractère d’évidence . Depuis la fin des années 1930, l’automobile est devenue un objet familier du paysage américain. Le bouleversement de ce dernier représente d’ailleurs une trace tangible de la motorisation du pays : parcouru par une trame autoroutière de plus en plus dense (elle-même parsemée de stations-service et, dans les villes, de feux de signalisation et autres garages), le territoire des États-Unis matérialise l’ « automania » de ce temps-là (Widmer 84). Un temps que l’on arrive d’ailleurs presque à observer intégralement au travers de ce prisme. Des ouvrages pour enfants et adolescents aux musiques qui font vibrer les récents juke-box et transistors en passant par les magazines spécialisés, la thématique de l’automobile pénètre toutes les couches de la société3. Mais cette omniprésence4, qui traduit l’intensité de la passion américaine pour ce moyen de transport, acquiert une valeur équivoque lorsque, rétrospectivement , on utilise un néologisme chargé d’une coloration...

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