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  • Les arts de la Nation. Construction nationale et arts visuels en Lettonie, 1905–1934 by Suzanne POURCHIER-PLASSERAUD
  • Anne-Marie Thiesse
Suzanne POURCHIER-PLASSERAUD. – Les arts de la Nation. Construction nationale et arts visuels en Lettonie, 1905–1934, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Art et Société », 2013, 373p. Préface de Krzysztof Pomian.

Selon la formule célèbre de Benedict Anderson, les nations modernes sont des « communautés imaginées » : leur représentation en images, en textes, en musiques permet de susciter et nourrir le sentiment d’appartenance des individus, et de donner corps à la nation sur la scène internationale. La genèse des nations relève donc tout à la fois de l’histoire politique et de l’histoire culturelle. L’étude de Suzanne Pourchier-Plasseraud, issue d’une thèse d’histoire soutenue à l’Université Paris 1 sous la direction de Marie-Pierre Rey, illustre remarquablement cette double perspective. S’inscrivant dans la lignée des recherches menées depuis trois décennies sur la formation culturelle des identités nationales, elle retrace la construction de la nation lettone en s’appuyant sur un corpus documentaire d’une très grande richesse, généralement mal connu en France et en bonne partie traduit du letton. Restituant avec une remarquable clarté les évolutions politiques, sociales et économiques, elle focalise l’investigation sur les arts visuels (peinture, architecture, arts appliqués) qui ont tenu un rôle majeur dans la création d’une identité lettone au XXe siècle.

La Lettonie, lorsqu’elle accède à la souveraineté, à l’issue de la Première Guerre mondiale, ne peut se référer à un État antérieur qui ferait office de précédent historique prestigieux. Constitué de provinces aux passés distincts (Courlande, Zemgale, Livonie, Latgale), ce pays baltique a été marqué par une double domination : russe sur le plan politique, allemande sur le plan économique et social. Cette bipolarisation permet un certain espace de « jeu » intellectuel et politique aux patriotes lettons, à l’instar de ce qui s’est produit en Finlande, passée au début du XIXe siècle de la domination politique et culturelle de la Suède à celle de la Russie. La promotion de la culture lettone bénéficie d’ailleurs des études ethnographiques et linguistiques menées dans l’espace balte par des érudits ou des sociétés savantes germaniques ou russes. Les expériences des divers « Éveils nationaux » dans l’Europe du XIXe siècle inspirent les intellectuels et les artistes lettons qui s’engagent dans la production d’une identité nationale. La Société lettone de Riga, fondée en 1868, et qui présente bien des analogies avec les Matice slaves, œuvre intensément à cette fin. La culture [End Page 166] populaire fait l’objet de grandes opérations de collectes et de publications, qui concernent notamment la poésie traditionnelle des dainas (le folkloriste Krišjānis Barons en publie des centaines de milliers avant la Première Guerre mondiale). Les dainas seront désormais célébrées comme référence fondamentale de l’identité lettone, comme l’a souvent souligné une spécialiste de ces poésies, Vaira Vīķe-Freiberga, présidente de la République lettone de 1999 à 2007. Le premier festival de chant letton a lieu en 1873, lançant une tradition vivace et patriotique, ravivée par la « Révolution chantante » de 1988 et aujourd’hui de grande ampleur. L’élaboration d’une langue nationale à partir des dialectes ruraux, dans un pays où les langues d’éducation et de culture étaient l’allemand et le russe, a été une autre étape décisive pour l’affirmation d’une identité lettone. Les références à la tradition, loin de correspondre à des replis archaïsants, s’articulent, comme dans le reste de l’Europe, avec la modernisation culturelle et l’innovation.

Le développement économique de Riga, ville cosmopolite, carrefour commercial et culturel, favorise au tournant du siècle l’éclosion d’écoles d’architecture et de peinture qui conjuguent d’emblée l’élaboration d’un art national et l’inscription dans la modernité internationale...

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