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  • Une paradoxale oppression. Le pouvoir et les associations en Russie by Françoise DAUCÉ
  • Ronan Hervouet
Françoise DAUCÉ. – Une paradoxale oppression. Le pouvoir et les associations en Russie, Paris, CNRS Éditions, « Mondes russes. États, Sociétés, Nations », 2013, 224p.

L’assassinat de Boris Nemtsov le 27 février 2015 a suscité de nouvelles inquiétudes sur le devenir démocratique en Russie. Dans ce contexte, la lecture de l’ouvrage de Françoise Daucé, qui se penche sur les liens entre pouvoir et associations dans ce pays, est tout à fait éclairante sur les transformations contemporaines du politique en Russie. Retraçant la genèse de la société civile depuis le début du XXe siècle, elle aide à mieux comprendre le changement de paradigme initié par Poutine dans le contrôle et l’« oppression » du milieu associatif. L’ouvrage se compose de trois parties, chacune étant divisée en trois chapitres. L’auteure retrace d’abord l’histoire de la société civile en URSS puis dans la Russie d’Eltsine. Elle analyse ensuite la « civilité de l’oppression » dans la Russie de Poutine. Elle se place enfin du point de vue des acteurs de la société civile et décrypte les réactions adoptées face aux nouvelles formes de contrôle et de répression mises en œuvre depuis 2000. Françoise Daucé propose une synthèse utile de la littérature internationale en langues française, anglaise et russe sur ces questions, mais s’appuie aussi sur des matériaux originaux : [End Page 157] entretiens avec des militants associatifs, observations concrètes des activités associatives, déclarations officielles, articles de presse et sites internet.

L’auteure rappelle qu’une réflexion sur la société civile dans la Russie d’aujourd’hui gagne à être située dans une histoire longue. Elle dénonce ainsi les « clichés » (p. 19) qui ne voient dans l’URSS qu’un monolithe totalitaire où l’État aurait absorbé la société et insiste sur l’historicité des régimes et des pratiques en Russie au XXe siècle. Si la société civile commence à se développer à la fin de l’époque tsariste, elle n’est qu’« embryonnaire » durant la première décennie du régime bolchevique, puis disparaît sous Staline. Toutefois, le politiste gagne à comprendre le gouvernement soviétique de la société civile pour saisir ses dynamiques contemporaines. En effet, sous Khrouchtchev, une configuration particulière se met en place, comparable à celle d’aujourd’hui. D’un côté, les autorités promeuvent, par le haut, des organisations sociales destinées à défendre les intérêts de certains groupes sociaux, sans toutefois mettre en cause la légitimité du pouvoir. De l’autre, des mouvements clandestins et informels, qualifiés de « dissidence », se développent par le bas. Eux n’hésitent pas à critiquer le régime, dans le registre de la légalité, pointant les contradictions entre le droit soviétique et son application. Ces derniers sont réprimés. Avec la perestroïka, les organisations officielles gagnent en autonomie et les frontières entre les deux types de mouvement se brouillent, d’anciens dissidents entrant dans des structures institutionnalisées. Toutefois, malgré le libéralisme de l’époque gorbatchévienne, la répression persiste à l’encontre de ceux qui n’entrent pas dans le spectre associatif validé par les autorités. Si l’auteure insiste sur les innovations possibles dans la Russie postsoviétique et souligne qu’« il ne s’agit pas ici de considérer que la Russie est engagée dans une dépendance à un sentier historique qu’elle ne pourrait quitter » (p. 17), elle montre dans le même temps l’importance des héritages et de la mémoire des pratiques passées pour appréhender la Russie poutinienne.

Dans un premier temps, dans les années 1990, les organisations sociales de type soviétique s’effondrent et l’héritage de la dissidence s’incarne dans le foisonnement des organisations non gouvernementales (ONG). Durant l’épisode de la « transition », la société civile est dotée de toutes les vertus...

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