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  • Entretien avec Habib Tengour :« La quête du Beau est aussi une quête de Dieu »
  • Hervé Sanson (bio)

Hervé Sanson : Quel rôle l'islam mystique a-t-il joué dans ta propre formation intellectuelle ? Descends-tu d'une famille maraboutique ? Quel était le rapport de tes aïeux à cet Islam ?

Habib Tengour : J'appartiens en effet à un lignage maraboutique ; c'est ce que j'ai toujours entendu dire dans ma famille. Et, à l'intérieur de la tribu des Beni Zeroual, domine le saint patron de la tribu, Sidi Ben Châ'a. Ma famille descend de ce saint. Cette tribu est affiliée à la confrérie des derqâwa habriyya, elle a compté un grand cheikh, qui est mort à la fin des années vingt, Cheikh Sidi Abdelbâqi. Les derqâwa ont plusieurs branches, qui sont réparties dans tout l'Ouest algérien, au Maroc aussi. C'est une confrérie très importante, souvent en conflit avec les pouvoirs en place.

Cela, c'est la famille élargie, le clan…

Mon arrière-grand-père paternel a quitté la tribu dès la fin du XIXème siècle, mon grand-père est né en 1890 dans un village, à proximité de la tribu. Il avait vingt ans quand il est venu s'installer à Mostaganem. Il n'avait aucun lien avec la confrérie et mon père, né dans la ville, n'était absolument pas affilié à une confrérie, au contraire, il était membre du PPA1, engagé dans le combat nationaliste. Mon père et ses frères, jeunes, ne faisaient pas la prière, et mon grand-père priait dans la [End Page 65] mosquée qui n'était pas affiliée à une confrérie. Il ne fréquentait pas les confréries alors qu'il y en avait trois, juste à côté de la maison. Par contre, quand j'allais chez mon oncle maternel, à la campagne, il était moqaddem de la confrérie, là il s'agissait plutôt d'un islam mystique. J'assistais à des séances de hadra>2, à des sama' (concerts mystiques) de la confrérie.

Dans mon enfance, j'allais dans la mosquée Sidi Qaddour d'obédience habriyya3 où il y avait un maître qui nous retenait après la prière pour psalmodier et chanter des poèmes d'Ibn 'Arabî, d'al-Shushtarî et autres soufis. Bien sûr, je ne connaissais pas ces mystiques que je n'ai découverts que plus tard. Mais les poèmes me sont restés en tête à ce jour… Pourquoi allais-je dans cette mosquée ? Mon grand-père n'y allait jamais. Gamins, on aimait bien parce qu'après la prière, on s'attardait pour chanter et le maître nous racontait plein d'histoires édifiantes.

Il y a aussi que la poésie mystique, on la goûtait dans les poèmes et les chants du melhûn4. Tous les mariages citadins durant l'été étaient égayés par des orchestres cha'bî dont le répertoire comportait tout un registre mystique, notamment les poèmes laudatifs du Prophète de Sidi Lakhdar Ben Khlouf, un grand saint de la région.

J'ai grandi dans cette poésie, j'apprenais le Coran bien sûr, nous avions un maître qui était aveugle, il faisait partie des processions quand on emmenait les cercueils au cimetière ; à Mostaganem on psalmodiait le fameux poème « al-Borda (le manteau) », d'al-Bûsîrî, c'est archi connu. Le refrain je l'ai gardé dans mon oreille. J'avais été étonné, plus tard, à Constantine de voir que les enterrements étaient silencieux, parce que les Réformistes musulmans avaient interdit les processions chantantes, la musique…

J'ai grandi aussi dans le culte des saints : j'entendais les récits concernant notre ancêtre et tous les saints de la région qui sont nombreux. Cette culture mystique était une culture populaire ; les rares [End Page 66] aspects savants, comme les poèmes d'Ibn al-Farid, ou les poèmes d'Ibn 'Arabî, ou d'al-Shushtarî, je...

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