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  • érotisme mysticisme lettrisme
  • yasser elhariry (bio)

Le sexe fabrique un langage négatifentre l'élévation la félicité la chutesous l'auvent une relation commence

Abdelwahab Meddeb, Les 99 stations de Yale (1995 : 56)

Nous les voyons mais ils ne nous voient pas

Salah Stétié, « Le Noûn » (2004 : 35)

C'est l'histoire de la voix de ceux qui sont partis […]Nous écoutons alors cette voix qui vit dans une autre temporalité […]Voix et fantômes ont ceci en commun qu'ils troublent la temporalité […]Le fantôme de la voix me caresse.

Ryoko Sekiguchi, La Voix sombre (2015 : 9, 12, 57, 100)

dans ou de l'érotisme prépositionnel

Le mysticisme imprègne et ponctue l'importante production littéraire et artistique du Maghreb. Le soufisme, en particulier, y figure de manière saillante. Lors d'un entretien avec Hervé Sanson, Habib Tengour constate que l'écriture maghrébine s'adosse à « un fond soufi très fort » (Sanson 2012 : 22), ce qu'illustrent nombre de ses textes, du Vieux de la montagne : relation 1977–1981 (1983) au Maître de l'heure (2008), en passant par Gens de Mosta : moments 1990–1994 (1997) et Le Poisson de Moïse : fiction 1994/2001 (2000). Le premier texte de Gens de Mosta, « Les Saints » – auquel revient Tengour dans l'entretien accordé à Sanson pour ce dossier – met en relation plusieurs épisodes concernant la mère de l'enfant-narrateur, qu'il accompagne aux koubbas des saints : les histoires racontées et échangées en partage entre les pèlerines lors des visites aux mausolées ; les rapports faits ultérieurement par le narrateur à [End Page 1] sa bande d'amis. Entre eux, les enfants surenchérissent volontiers de détails apocryphes, embellissant les légendes orales touchant aux divers saints ruraux et régionaux. Sidi Abdallah, sidi Abdelkader, sidi Abderrahmâm, tous… à l'exception de sidi Saïd, « l'heureux ». Les amis sont aussitôt plongés dans l'embarras par une question posée par l'un d'entre eux, Moumen, « le croyant » : « Puisque vous êtes, à ce qu'il semble, si savants, dites-moi donc qui est le vrai patron de Mostaganem ? » (Tengour 1997 : 16). Or, « Mostaganem est la ville de sidi Saïd » (11), affirme le narrateur, et « nous savions tous, et tous les gens de Mosta le savaient depuis des générations, que sidi Saïd était le patron de la ville » (17).

« Les Saints » étale les mécanismes de continuité et de rupture qui étayent le retour de l'écrivain et du personnage maghrébins aux héritages mystiques. Ce dossier envisage de faire davantage la lumière sur le dispositif mystique du texte maghrébin. Au sein de la diversité spirituelle du Maghreb, et parmi les allégeances pastorales accordées aux saints soufis – étudiées en détail savant par Vincent J. Cornell dans un cadre historique révélant le « domaine » ou le « royaume du saint » (Cornell 1998 : 32–62), et dont le « moment » relaté par Tengour n'est qu'un fleuron – s'éternise une non-mouvance : la mère de l'enfant-narrateur, que l'histoire coloniale (Tengour 1997 : 12) et l'actualité politique (14) algériennes ne semblent aucunement toucher. Elle reste inébranlable face à la marche progressiste, écrasante de l'histoire. Les jours et les évènements historiques s'en vont, un savoir et un ésotérisme anciens demeurent. Le monde qui entoure la mère semble subsister par la seule baraka (grâce, « blessed virtue », « spiritual potency », « luck », « charisma » [Cornell 1998 : xxv–xxvi, xxviii, xxxiv]) de sidi Saïd. « Il fallait se débarrasser du voile de l'ignorance qui enserrait son cœur pour se laisser illuminer par la vérité parce que cette situation d'enclave n'était due ni au hasard ni au pouvoir de la France ; elle résultait d'une volonté mystérieuse du saint lui-même » (Tengour 1997 : 12–13). Telle fut l'initiation de la servante du mausolée de sidi Saïd. Au cœur du flux historique entre Orient et Occident, la mère du narrateur, impassible,

ne doutait à aucun instant des prodiges opér...

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