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Reviewed by:
  • Narkiss by Jean Lorrain
  • Alexandre Burin
Jean Lorrain, Narkiss. Montpellier: Bibliothèque Gay Kitsch Camp, 2016. 76 pp.

Il semblerait que Jean Lorrain redevienne à la mode. Outre les nombreuses récentes traductions dont l'auteur scandaleux a fait l'objet ces dernières années, il continue d'être réédité en France. C'est un classique de la littérature finiséculaire que ce conte de Lorrain qui reparaît aujourd'hui. À rebours d'Ovide, il transpose le mythe de Narcisse—figure qui fascine la décadence pour la polysémie symbolique qu'elle implique—en Égypte. Cette histoire d'une quête est pourrie par une poésie de l'abject qui se charge de renverser [End Page 589] tous les codes du récit originel; à la faveur d'un contexte de production qui cultive la réécriture du mythe, l'hyperesthésie sensuelle et l'érotisme se confondent avec la pulsion du meurtre et la mort sous fond de disjecta membra. Narkiss, à la recherche d'Isis sa mère, se découvre à travers son reflet, dans l'eau et la mort. Chez Lorrain, le jeune Narcisse androgyne se noie dans les eaux stagnantes d'un Nil rempli de corps putréfiés: 'aux premiers rais de l'aube, les prêtres d'Osiris trouvèrent le petit pharaon mort, enlisé dans la boue, au milieu des cadavres et de l'immense pourriture amoncelée là depuis des siècles' (p. 72). Cette nouvelle parution de Narkiss propose une reproduction à l'identique de l'édition de luxe du conte de Lorrain, paru originellement comme 'Conte d'été' dans les colonnes du Journal des 18, 25 juin et 2 juillet 1898, et republié en volume séparé (trois cents exemplaires) par Fernand Ferroud de l'Édition du Monument en 1908. L'objet, réalisé grâce à un processus de photocomposition, offre ainsi la particularité de présenter l'édition de luxe 'telle quelle', avec la typographie à l'antique, les dorures qui encadrent le texte dans un style typiquement Art Nouveau, de même que les dessins d'Octave Denis Victor Guillonnet, lequel illustra également les œuvres d'Alphonse Daudet: La Mule du Pape (Paris: Blaizot, 1909) et L'Arlésienne (Paris: Blaizot, 1911). C'est sans doute là le véritable intérêt de cet objet, puisque Narkiss figure déjà dans le volume Princesses d'ivoire et d'ivresse (Paris: Ollendorff, 1902), dans la section 'Princes de nacre et de caresse', republié à maintes reprises depuis. À l'image de la dédicace adressée au maître verrier et bijoutier René Lalique, le récit de Lorrain, dans ce tirage, présente une esthétique de l'artifice où nature et culture se brouillent constamment, une esthétique renforcée par les illustrations de Guillonnet, dans une décomposition de deux couleurs: le vert et le bistre. Il est aussi intéressant de voir que chaque page est construite comme une stèle funéraire classique surmontée d'un aigle ailé de couleur or, et qu'un attribut égyptien—amphore, serpent cobra, scarabée, signe Ankh, etc.—orne les angles du bas de chaque page. Le lecteur peut ainsi apprécier la fonction première de l'objet rare, même si l'on déplore une qualité d'impression pas toujours nette (petits caractères de la préface, couleurs et détails des illustrations). Il n'en reste pas moins que ce Narkiss saura ravir les curieux et passionnés, ainsi que les étudiants, notamment ceux qui s'intéressent à la matérialité du livre.

Alexandre Burin
Durham University
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