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  • Clés des songes et sciences des rêves de l’Antiquité à Freud ed. by Jacqueline Carroy, Juliette Lancel
  • Renaud Evrard
Clés des songes et sciences des rêves de l’Antiquité à Freud
Jacqueline Carroy et Juliette Lancel (dir.)
Paris: Les Belles Lettres, 208 p., 25 €

Cet ouvrage s’appuie sur un colloque tenu sous l’égide du Labex Hastec, du Centre Koyré, de l’EHESS et du CNRS, à Paris en octobre 2012. Il regroupe une introduction, puis dix contributions dont l’ordre suit approximativement une chronologie, ainsi qu’une bibliographie générale, une présentation des auteurs et un index des noms propres. Par sa thématique, il se situe au carrefour d’une histoire des sciences, d’une histoire des pratiques populaires et d’une histoire de la médecine, le tout étalé sur deux millénaires.

Artémidore et sa clef des songes est l’un des fils rouges de l’ouvrage. Une analyse minutieuse nous permet de saisir le contexte de son œuvre, son modelage et remodelage au fur et à mesure des traductions et des réappropriations. Artémidore démarquait déjà les songes théorématiques et allégoriques tournés vers l’avenir, et requérant un interprète, des rêves naturels n’ayant pas de valeur prédictive. Une telle distinction a perduré dans l’histoire occidentale et dans d’autres sociétés, même si les mots « songe » et « rêve » sont devenus synonymes, ce qui était loin d’être le cas auparavant.

Globalement, le propos principal de l’ouvrage porte sur l’utilisation du rêve en tant qu’outil de divination, avec des réceptions sociales variables selon le positionnement scientifique de l’époque. L’obstacle à l’interprétation surnaturelle des songes est une théorie à vocation médicale qui donne au rêve une valeur diagnostique ou pronostique uniquement par rapport à la santé du rêveur. Alors que plusieurs théories successives mélangent ces deux types d’interprétation, les intellectuels vont progressivement couper avec l’onirocritique associant au rêve une valeur prédictive par rapport aux événements appelés à survenir dans la vie du rêveur. Le glissement vers le réductionnisme médical ne se fait pas subitement. On est surpris par le succès de certaines explications pseudo-physiologiques, telles que celle des « esprits animaux » énoncée par Descartes (Guillaume Garnier, chapitre sept); ou par l’influence du contexte social. Ainsi, la levée de l’interdit ecclésiastique sur le jeu de hasard par le pape Clément XII en 1731 facilitera le développement de loteries populaires, accompagnées de clés des songes où chaque rêve typique était associé au numéro à jouer (Claire Gantet, chapitre 5). Le songe venait compenser l’incertitude de la vie de veille.

Malgré une analyse réussie des travaux de l’époque moderne, on peut regretter l’absence d’une réflexion sur le retour de Freud à la [End Page 566] question de « la signification occulte des rêves », selon le titre qu’il donna à l’un des compléments à sa Traumdeutung écrit en 1925. Alors que le chapitre dix d’Andreas Mayer peut laisser penser que Freud clôt une période d’ambiguïté en expliquant le rêve par les principes de la psychanalyse (psychophysiologie du désir du rêveur), ce dernier est revenu sur ses premières conclusions. Il a continué à rejeter la divination par le rêve, trop éloigné de sa conception du fonctionnement de la nature, mais a intégré les rêves télépathiques et a même essayé d’en repérer les processus. En somme, cette histoire du « songe » est loin d’avoir trouvé sa fin.

Renaud Evrard
Université de Lorraine
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