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  • La prison de l'urgence. Les émois de Néo-Narcisse. Autobiographie collective by Jean-Jacques Pelletier
  • Claude Grégoire
Jean-Jacques Pelletier, avec la coll. de Victor Prose, La prison de l'urgence. Les émois de Néo-Narcisse. Autobiographie collective, Montréal, Hurtubise, 2013, 181 p., 19,95$

Dans la foulée de son examen de notre société occidentale amorcée dans les essais Les taupes frénétiques (2012) et La fabrique de l'extrême (2012), Jean-Jacques Pelletier offre, dans La prison de l'urgence (2013), un regard centré sur l'homme occidental, évoluant dans un monde auquel il participe et qu'il subit à la fois.

« Les émois de Néo-Narcisse », qui constitue les deux tiers de l'ouvrage, expose en première partie la nouvelle figure de l'individu qui puise dans le regard des autres et la consommation l'effet que la source provoquait chez son ancêtre. Sa quête d'identité montre un culte à la fois désiré et craint de l'ici, du maintenant et du moi que le phénomène des réseaux sociaux, entre autres, amplifie. Le spectacle auquel se prête Néo-Narcisse se déroule dans un univers dont les repères temporels (passé et futur) perdent leur sens, au profit de l'urgence d'un présent envahissant, où priment pour lui l'immédiat et l'urgence d'entretenir son image. Habité par l'angoisse d'un vide existentiel qui le guette à tout moment, Néo-Narcisse participe donc de la pensée simplificatrice le plus souvent binaire promulguée par Internet (j'aime, je n'aime pas) en entretenant une image factice et en consommant : « Faute d'exister […] Néo-Narcisse [End Page 410] se raconte » et consomme, gestes fondamentaux de son bonheur et de son plaisir d'extrémiste soft, comme le désignait Pelletier dans Les taupes frénétiques.

Refusant les contraintes, accordant la primauté au plaisir, ce personnage consumériste se trouve en compétition avec tous, malgré une apparente paix sociale dans une diversité d'égos où, paradoxalement, le conformisme et la censure règnent, au point d'atteindre le langage, farci d'euphémismes, dont Néo-Narcisse, drame ultime, a intériorisé et adopté, consciemment ou non, les codes (de Facebook, par exemple).

« La prison de l'urgence », deuxième partie de l'ouvrage, illustre l'impasse logique que le monde-spectacle décrit en première partie réserve à Néo-Narcisse : ouvert aux extrêmes et aux excès, ce monde cultive chez lui le goût de la recherche de l'intensité dans ses moindres actes, et l'homme s'en trouve, de surcroît, prisonnier.

Devant ce portrait sombre, qui ne rate pas ses cibles, le lecteur serait tenté de s'abandonner au cynisme, à croire la situation décrite insoluble. Il faut admettre que l'essai de Pelletier, aboutissement logique des deux premiers, s'il ne manifeste pas une rigueur scientifique à toute épreuve, déploie une impressionnante charge argumentative et informative, livrée dans une langue précise, efficace : la densité de l'écriture de Pelletier participe indubitablement de l'effet massue que pourraient ressentir quelques lecteurs. Mais Pelletier et son alter ego (et personnage de roman) Victor Prose viennent, en troisième partie (« Sortir de l'urgence »), alléger l'atmosphère et permettre d'envisager l'espoir : les légitimes préoccupations des lecteurs abasourdis sont abordées en forme de dialogue fictif, dont l'effet est somme toute bénéfique après ce court, mais percutant essai de Pelletier, qui conclut un triptyque essayiste d'une évidente nécessité.

Claude Grégoire
Collège Mérici et Université Laval
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