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Reviewed by:
  • Éric Chevillard dans tous ses états by Olivier Bessard-Banquy, Pierre Jourde
  • Raphaël Piguet
Éric Chevillard dans tous ses états. Sous la direction d’Olivier Bessard-Banquy et Pierre Jourde. (Rencontres; Littérature des xxe et xxie siècles, 22.) Paris: Classiques Garnier, 2015. 274pp.

Éric Chevillard, dans tous ses états; ceux-ci sont multiples: romancier, blogueur, critique — l’auteur porte divers masques. Cet ouvrage collectif en témoigne puisqu’on y trouve réunies des études consacrées à tous les aspects de son écriture. Analyses stylistiques, génériques, thématiques: la pluralité des approches critiques est remarquable. L’ensemble des contributions dessine les contours imprécis d’une œuvre protéiforme, dont Palafox (1990) donnerait le modèle réduit. Protéiforme, et la relation de Chevillard à ses commentateurs rappelle bien une certaine scène de l’Odyssée: Ménélas et ses compagnons s’évertuant à maîtriser Protée pour savoir comment rentrer chez eux. ‘Ne songez plus qu’à bien jouer des bras; tenez-le quoi qu’il tente; il voudra s’échapper; prendra toutes les formes, se changera en tout ce qui rampe sur terre, en eau, en feu divin; tenez-le sans mollir! donnez un tour de plus!’ (Odyssée, chant iv, traduction Victor Bérard). Les contributeurs donnent et redonnent le tour; pour prix de leurs efforts, ils obtiennent, comme Ménélas, un retour, non plus géographique mais critique. Les textes de Chevillard paraissent en effet dotés du singulier pouvoir de déstabiliser ou de contaminer ceux de leurs exégètes. Ainsi les épithètes privatives prolifèrent: ‘inclassable’, ‘indécidable’, ‘impossible’ est l’œuvre (pp. 8, 13, 22), qui laisse ses lecteurs ‘désarçonnés’ (p. 245), pantois face à tant de vigueur littéraire. Cette difficulté première est devenue un lieu commun du discours sur Chevillard, qu’on retrouve dans d’autres parutions récentes (Pour Éric Chevillard, dir. Pierre Bayard (Paris: Minuit, 2014); La Langue de Chevillard, ou, ‘Le grand déménagement du monde’, dir. Cécile Narjoux et Sophie Jollin-Bertocchi (Dijon: Presses universitaires de Dijon, 2013)). Les critiques ‘hésitent’ face à une ‘écriture dansée’ (pp. 71, 170), ainsi que Chevillard la qualifie lui-même, ne sachant plus très bien comment suivre cette folle gigue. Si, dans cet ouvrage collectif, certains perdent la mesure, d’autres se meuvent adroitement, parfois même avec grâce (Marie-Odile André, Jean-Bernard Vray, Blanche Cerquiglini notamment). Dans le miroir grossissant d’une œuvre dont on se complaît à rappeler la nature irréductible, on voit paraître le reflet d’une loi: plus l’appareil conceptuel mobilisé par l’analyse est lourd, moins il est adéquat. Ce livre le confirme. Surtout, il a le mérite d’étendre la réflexion critique à toutes les formes que revêt la production chevillardienne, convoquant notamment les recensions littéraires du Monde et les nombreux entretiens accordés par l’auteur. Chevillard lui-même, dans deux pages de sa main placées au début du recueil, annonce, goguenard, que ‘tout [y] sera élucidé’ (p. 15), et qu’au terme du processus, ‘il aura cessé d’être dupe’ (p. 16). Rien, bien sûr, n’est élucidé; mais c’est le propre d’un corpus tératologique que de rester insaisissable, relançant chaque fois son incurable duplicité tout en la dénonçant. Au final, le rapport dynamique de l’auteur à ses exégètes est aussi passionnant qu’insoluble. Les lecteurs critiquent-ils les textes? Ou ceuxci critiquent-ils plutôt, par anticipation et en creux, les commentaires à venir? La machine à questions fonctionne à plein régime dans cette collection, réaffirmant l’urgence et la pertinence de Chevillard, Protée discursif, pour les lettres contemporaines. [End Page 434]

Raphaël Piguet
Princeton University
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