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  • Dolbreuse, ou, L’homme du siècle, ramené à la vérité par le sentiment et par la raison. Histoire philosophique by Loaisel de Tréogate
  • Françoise Gevrey
Loaisel de Tréogate, Dolbreuse, ou, L’homme du siècle, ramené à la vérité par le sentiment et par la raison. Histoire philosophique. Texte établi et présenté par Charlène Deharbe. (Société des textes français modernes, 260.) Paris: Société des textes français modernes, 2015. 332pp., ill.

À quelques exceptions près, les romans de la fin du dix-huitième siècle furent trop long-temps délaissés par la critique; on se réjouit donc de voir paraître cette première édition critique de Dolbreuse, le plus connu des romans de Loaisel de Tréogate, un auteur qui eut du succès en son temps (les rééditions le prouvent) mais qu’on oublia ensuite en le réduisant au mieux au statut de ‘préromantique’ ou de modèle de Chateaubriand. Dans une Introduction très complète et argumentée, Charlène Deharbe met en valeur l’originalité de l’œuvre qui se veut ‘philosophique’: elle tient d’abord au rôle attribué à Ermance, l’héroïne pourtant très inspirée de celle de La Nouvelle Héloïse de Rousseau, qui, face à un Dolbreuse faible, incarne l’amour conjugal, la vertu et la possibilité du bonheur. L’histoire est aussi philosophique parce qu’elle défend, avec une forme de stoïcisme, les valeurs de la retraite dans la nature, seul espace où le moi peut s’accomplir. Alors qu’Ermance reste fidèle à cet idéal, Dolbreuse affronte le libertinage et la corruption du jeu à Paris, avant de revenir dans sa Bretagne natale, où il verra pourtant son épouse mourir brutalement sous ses yeux, ce qui le poussera à un rituel funèbre proche de la nécrophilie. Le roman est bien de son temps par ses idées morales: la promotion de la sensibilité, la dénonciation des liaisons dangereuses, les discours religieux inspirés de La Profession de foi du vicaire savoyard. La réflexion sur les femmes retient l’attention, puisqu’à côté de la bonne épouse s’exprime une audacieuse prostituée qui accuse les hommes. En outre les situations et les notes de l’auteur insèrent sa fiction dans l’actualité politique et littéraire. Loaisel souligne aussi le rôle fondamental de la lecture qui n’est pas réduite à un simple rôle corrupteur. Son roman illustre l’esthétique de l’époque par le recours au tableau et par la dramatisation des scènes; la sensibilité s’exprime parfois dans une frénésie qui prélude à celle du roman noir et qui justifie que Sade ait lu Dolbreuse avec attention. Deharbe analyse la réception du roman dans les périodiques et en souligne la postérité. Le texte est très précisément annoté avec beaucoup de rapprochements utiles; le relevé des variantes des rééditions est riche d’enseignements sur l’esprit qui présidait en 1794 et qui appelait des corrections: ce sujet pourra certainement nourrir des travaux ultérieurs. On trouve aussi dans ce volume une présentation des divers frontispices qui étaient destinés à orienter la lecture; enfin la bibliographie détaillée guidera les nouveaux lecteurs de Dolbreuse. Cette édition, qui concilie érudition et agrément, contribuera donc à mieux faire connaître le romancier en donnant la curiosité de découvrir ses autres fictions, mais aussi à illustrer le contexte moral et esthétique des années qui précédèrent la Révolution de 1789.

Françoise Gevrey
Université de Reims Champagne-Ardenne
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