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  • Autour des morts de guerre. Maghreb–Moyen-Orient by Raphaëlle Branche, Nadine Picaudou et Pierre Vermeren
  • Mériam N. Belli
Raphaëlle BRANCHE, Nadine PICAUDOU et Pierre VERMEREN (dir.).–Autour des morts de guerre. Maghreb–Moyen-Orient, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013, 232 pages.

Prenant pour sujet les usages politiques du deuil et des obsèques de guerre dans l'espace Maghreb-Machrek, l'ouvrage comble un manque historiographique. Les essais couvrent diverses facettes de l'articulation entre culture de la mort et politique. Ils s'attachent à des objets variés, des guerres coloniales aux conflits présents, du Maroc à l'Iran, des rituels funéraires aux représentations cinématographiques, en passant par les symboliques religieuses.

Les politiques étatiques qui ont pour but de contrôler ou de passer sous silence les dissidences historiques sont le sujet d'un grand nombre des interventions. Emmanuel Alcaraz s'attache à la politisation de la guerre d'Algérie, au centre de laquelle figurent le shahîd (martyr) et le mujâhid (combattant). Il étudie ces derniers à travers le maqâm al-shahîd (monument aux martyrs) d'Alger, inauguré vingt ans après la fin de la guerre (p. 23). Il raconte l'institutionnalisation d'une mythologie historique qui s'efforce, d'une part, d'effacer les conflits sanglants internes à la résistance (p. 28), d'autre part, d'enterrer l'opposition politique des descendants du Front de libération nationale (p. 38). L'histoire du maqâm indique en particulier la monopolisation étatique des représentations publiques d'un passé dominé par ce qu'E. Alcaraz nomme, sans vraiment la définir, l'« idéologie arabo-musulmane ». Dans son ensemble, le complexe commémoratif du maqâm témoigne de la mise sous silence de la société civile et de la mise en scène d'une histoire revendicatrice écrite avant tout pour la France.

Jean-Pierre Peyroulou retrace de manière chronologique les phases du récit des massacres du 8 mai 1945 en Algérie. Cette histoire de la « mémoire collective » algérienne est centrée sur les usages institutionnels du passé. Pour J.-P. Peyroulou, cependant, les massacres de 1945 ont remplacé la guerre d'indépendance dans les débats mémoriels algériens. Le premier récit élégiaque de mai 1945 apparaissait en 1946 pour disparaître en 1954 avec la guerre d'indépendance et réapparaître en 1988, alors que débutait l'insurrection contre l'État algérien puis la répression militaire. Le « martyrologe » de 1945 avait été impossible sous l'État colonial. Après l'indépendance, le FLN victorieux s'efforçait d'effacer l'existence d'un mouvement nationaliste pluriel et divisé en occultant mai 1945 et en s'appropriant la lutte amorcée en 1954. Dans les années 1980, la crise du FLN érodait cependant la centralité mémorielle de 1954. La nation revisitait alors une histoire amputée et donnait une nouvelle force mythologique aux événements de 1945.

La République turque fait preuve d'une grande continuité dans son « langage » sur les morts de guerre, comme le soulignent Sümbül Kaya et Étienne Copeaux. L'une et l'autre révèlent la violence et les manipulations de l'État turc dans une guerre turco-kurde omniprésente. Ce qu'ils qualifient d'« immobilisme » rituel, discursif et sémiologique a pour but d'imposer un consensus national face à la révolte du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le « langage des obsèques » légitime la politique répressive « sécuritaire » de l'État et le pouvoir de l'armée. Contrairement à Kinda Chaib qui, dans ce même volume, appréhende le « martyr » comme une notion historiquement fluide, S. Kaya et É. Copeaux y voient une « conviction » islamique universelle (p. 73). La glorification du martyr et du vétéran demeure [End Page 151] essentielle au mythe républicain et à l'ensemble des partis politiques. En conséquence, les obsèques sont un lieu à la fois de protestation contre le gouvernement et de propagande institutionnelle.

Christophe Giudice s'intéresse aux expériences des anciens...

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