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  • Épargne et crises politiques en France. Les mouvements de panique dans les Caisses d'épargne au XX esiècleby Vincent Tournié
  • Hubert Bonin
Vincent TOURNIÉ.– Épargne et crises politiques en France. Les mouvements de panique dans les Caisses d'épargne au XX esiècle, Paris, Association pour l'histoire des Caisses d'épargne–Economica, 2011, 330 pages. « Économies et sociétés contemporaines »

Daniel Duet, Laure de Llamby, André Gueslin jadis et Vincent Tournié sont les mousquetaires de l'histoire française des Caisses d'épargne, ainsi qu'en témoignent leurs publications 5. Le dernier cité a publié sa thèse doctorale, fruit de ses investigations nationales et parfois régionales dans les fonds d'archives, ceux d'un État superviseur et ceux des Caisses, avec notamment des correspondances entre dirigeants locaux et parisiens. Engoncées dans un carcan réglementaire strict, les quelque trois cents Caisses d'épargne ne risquaient pas de prendre des risques ni de disparaître, contrairement aux Caisses américaines à la fin des années 1980 ou espagnoles récemment. La loi de 1895, dont Vincent Tournié rappelle les débats parlementaires qui ont marqué son adoption, maintient en effet l'interdiction de pratiquer la banque de crédit, comme le faisaient les Sparkassenallemandes, et ce jusqu'aux années 1980. On ne trouve donc pas ici une énième histoire de crises bancaires ou d'institution financière.

L'étude des structures et des modes de fonctionnement contribue à une mesure de la psychologie « de masse » des épargnants, toutes classes sociales confondues, dans le cadre de la construction de cette énorme réserve d'épargne non boursière [End Page 123]qui caractérise le système économique français. Il s'agit de soupeser les fluctuations des mentalités et des sensibilités des porteurs de carnet à travers les mouvements conjoncturels, et déterminer ce qu'on peut appeler les distorsions cognitives qui les caractérisent parfois, en amont de ruées éphémères et ponctuelles, ou plutôt durables. En parallèle, Vincent Tournié suit les réactions ou anticipations des responsables (État, Caisse des dépôts, qui centralise les fonds pour les placer en valeurs stables, directeurs des Caisses), quant à eux désireux de saisir, comprendre et orienter ces mouvements d'humeur. La faille de l'ouvrage est l'absence de données systématiques, précises et récurrentes sur la sociologie des épargnants ; par chance, il dispose d'enquêtes ponctuelles et d'analyses fournies parfois par telle ou telle Caisse, ce qui contraint son récit à mobiliser un empirisme de bon aloi.

On sait que la majorité des fonds des Caisses leur était apportée par une minorité de carnets de bourgeois aisés, venant tirer parti de ce complément de placement à leur patrimoine : petit revenu mais garanti et stable. En revanche, la masse des carnets constituait une épargne liquide pour quelques petits patrons et surtout pour les ménages de « petites gens ». Ce sont ces deux ensembles qui sont les plus susceptibles de réagir négativement aux retournements de conjoncture, aux rumeurs politiques, aux tensions de la monnaie et, enfin, rarement, aux risques de guerre. Des retraits pour garder de quoi faire vivre la toute petite entreprise ou le foyer sont les plus courants en cas de frissons d'inquiétude ; puis se produisent aussi des retraits de personnes fragilisées (mères de famille isolées, personnes âgées) qui ont besoin de liquide pour la vie courante, pour faire face aux variations de prix de la consommation courante. Et Vincent Tournié soupèse les flux d'information (ou de désinformation), les motivations, les craintes épidermiques ou prudentes, selon les cas, des porteurs de carnet venant puiser sur leur épargne : l'été 1914, les aléas politico-monétaires des années 1924-1926–avec un pic de retraits en juillet 1926, équivalant en trois semaines à la moitié de la moyenne des retraits annuels –, ou des années 1930 (mars 1936 dans l'Est, septembre 1938), toutes circonstances déjà bien étudiées. L'auteur aurait pu puiser dans les ouvrages collectifs de l'Association...

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