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  • Entretien avec Anne Weber, traductrice d'Une vie ordinaire
  • Ariane Lüthi
Ariane Lüthi:

Anne Weber, vous écrivez en deux langues, en français et en allemand, et vous traduisez en deux langues. Ainsi, vous avez par exemple traduit Pierre Michon ou Marguerite Duras en allemand, et Wilhelm Genazino ou Peter Handke en français. De Georges Perros, vous avez traduit en allemand Une vie ordinaire, cette autobiographie hors-norme. Comment avez-vous découvert l'œuvre de Perros?

Anne Weber:

Dans mon souvenir, j'ai lu d'abord Papiers collés avant la poésie. J'ai un ami d'origine bretonne qui a assez bien connu Perros et qui m'en a parlé avec chaleur et admiration. Au-delà—ou plutôt en deçà—de la beauté de sa prose et de ses vers, il y a aussi le personnage, tel que je l'imaginais et l'imagine encore (c'est-à-dire pas très conforme, sans doute, à la réalité), qui m'a attiré. Cette façon de fuir les mondanités parisiennes et de s'installer au fin fond de la Bretagne et de parcourir le pays à moto; en même temps, le rejet de tout pittoresque, son appartement dans une HLM de Douarnenez. L'intransigeance, bien sûr, du personnage. Et enfin, son attitude vis-à-vis de la maladie qui l'a privé de voix, l'ardoise magique, l'humour noir pour seule arme.

AL:

Quand avez-vous décidé de traduire Une vie ordinaire, "romanpoème" écrit en octosyllabes?

AW:

Ce livre m'a d'emblée attirée par le contraste entre sa forme très rigide (l'octosyllabe) et la liberté qui y règne, par son humour amer aussi, désabusé, son ton laconique et sec qui constituent une sorte d'armure protégeant des blessures que la vie—mondaine, amoureuse, etc.—vous inflige, et derrière lequel on devine un être qui ne l'est pas.

AL:

Avez-vous dès le début opté pour des vers libres?

AW:

Oui, quasiment. J'ai un peu expérimenté au début avec ce qu'on [End Page 133] appelle en allemand le "Knittelvers" qui comporte aussi huit ou neuf syllabes et qui date d'une époque, le Moyen Âge, où la prosodie était encore basée sur le nombre de syllabes et non sur les accents toniques, comme c'est le cas plus tard. Je crois que c'est ce qui aurait le mieux convenu. Mais j'ai renoncé assez vite, en prenant conscience de l'impossibilité à concilier la traduction du contenu, ou disons du sens, de ce "roman-poème" et la brièveté du vers. Il aurait fallu sacrifier pas mal de ce contenu, en traduction, pour pouvoir respecter une forme aussi stricte. Je me suis donc décidée pour des vers libres, mais en essayant de conserver une forme de concision qui passait par l'omission de tout élément superflu à la compréhension.

AL:

Suiviez-vous des règles pour traduire ces vers et le rythme de l'oralité qui marque Une vie ordinaire?

AW:

Non. J'ai suivi essentiellement mon sens du rythme, tout en essayant d'être le plus proche possible de l'esprit de ce long poème qui mélange, en effet, langue orale et langue savante, et les soumet à une sorte de cure d'amaigrissement, en faisant sauter tout ce qui n'est pas nécessaire à la compréhension, en particulier des articles et des pronoms. J'ai cherché à obtenir cet effet de resserrement sans me limiter à un nombre fixe de syllabes. Chez Perros, on a l'impression que sa langue, riche et variée, et sans doute lui-même qui en est le plus souvent l'objet, sont à l'étroit dans l'octosyllabe, ou plutôt, qu'ils étaient trop lourds et qu'ils ont donc été contraints à larguer pas mal de ballast. J'ai cherché à reproduire la même impression en allemand.

AL:

Quelles étaient les difficultés rencontrées pour traduire cette autobiographie poétique (vous parlez dans la postface d'une "Gedichtautobiographie")?

AW:

Les difficultés sont malaisées à nommer de façon g...

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