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  • Dans la "galerie des 'mineurs' de race"1Georges Perros via Jude Stéfan et alii
  • Philippe Met

Comprendre. Pour un mot. On va au dictionnaire. On ne comprend pas davantage. Il y a là un mystère, une résistance.

—G. Perros, "En vue d'un éloge de la paresse"2

En clôture de la décade de Cerisy (ou, comme il convenait en l'espèce, de sa version particulièrement écourtée) consacrée en 2005 à Georges Perros,3 Jude Stéfan devait intervenir sur son défunt aîné (encore qu'on parlerait plus justement de quasi-contemporain, sept petites années les séparant). Moins en qualité de simple témoin, assurément, qu'à la faveur de "notations discontinues": "notes, souvenirs, lettres, aphorismes, réflexions, comparaisons, en forme de collages, papiers épars, réactions, amitiés, etc. . . ."4 Si les modalités de la démarche s'annonçaient, par leur brièveté et leur dispersion mêmes, congruentes aux écrits perrosiens, on s'accordera à penser que le désistement de Stéfan, au-delà de motivations personnelles qui ne sauraient ici nous concerner, s'est trouvé à coller plus radicalement encore à son "sujet," en coupant court à toute tentative ou tentation de développement, à tout effet de clausule ou semblant d'épilogue, fût-ce de manière hétérogène ou discordante. Ne pourrait-on poser—non sans un brin de provocation, il est vrai—que cette dérobade, acte de présence in absentia, était somme toute la plus fidèle forme de communi(cati)on avec un esprit fraternel qu'habitait un perpétuel mouvement de fuite,5 un sentiment d'absence à soi-même,6 un élan vers la marge?7 Il faut dire que les points de similitude, d'intelligence et de communauté sont légion entre l'exilé de Douarnenez et le solitaire d'Orbec. Tous deux réunissables au sein d'une écriture brève, fragmentaire et déceptivement intime8 s'ingéniant à brouiller les pistes et à décloisonner les genres, ils sont, chacun à leur manière et pêle-mêle: de vrais-faux misanthropes9 ou misogynes; des [End Page 63] "autophobe[s]"10 patentés; des anti-pédagogues (pour faire signe vers le titre d'un ouvrage de Stéfan)11 ou "professeur[s] d'ignorance" (ainsi se définissait le Perros chargé de cours à la faculté des lettres de Brest); des "faiseurs de notes"12 invétérés, soit des défaiseurs de livres; des anti-ou contre-poètes,13 même si, à ce compte, Stéfan aura moins manqué la poésie que Perros . . .

Trois décennies avant le colloque de Cerisy-la-Salle, Perros et Stéfan se côtoyaient, en revanche, au sommaire d'une livraison de La Nouvelle Revue Française portant sur les "Journaux intimes et carnets" du XXe siècle (en compagnie, parmi bien d'autres, d'un Henri Thomas dont la contribution visait semblablement, bien que selon des modalités diverses, à déconstruire le genre en question pour mieux le taxer d'inanité ou d'impossibilité).14 Perros y confie "Feuilles mortes," rare exemple parmi ses écrits, carnets et correspondance compris, de journal comportant des entrées datées (ou, à défaut, la mention "Sans date," ce qui ne va pas sans démanteler dans le même temps la trame chronologique);15 Stéfan, "Faux journal," premier de ses textes se rapportant, certes polémiquement, au régime diaristique.16 Situant résolument l'écriture de Perros à la fois "au niveau du discontinu" et dans le cadre d'une "morale de la résistance" (laquelle entre, d'évidence, en résonance avec une section des Papiers collés III dont l'intitulé, "Notes de résistance" serait à même, aux yeux de l'auteur des Chroniques catoniques, de subsumer ou quintessencier, c'est égal, toute l'activité notulaire perrosienne), c'est encore—en sus de "la bribe soudaine," du "dialogue anecdotique" ou de "la lettre"—le "faux journal non complaisant"17 que Stéfan relève chez son prédécesseur. Et ce, au sens de l'épigraphe non attribu...

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