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  • Georges Perros ou l'écriture de soi
  • Marie-Hélène Gauthier

Aborder l'œuvre d'un homme qui refusait la pose littéraire, y compris dans les retranchements confidentiels de la "littérature en petite culotte," pour tenter d'y voir l'immense effort d'écriture et de vie obstinément déployé dans la résolution de donner forme à la matière la plus intime d'un "niveau d'eau mental,"1 d'une liquidité interne réfractaire à toute solidification étrangère; poursuivre la constitution d'un langage de soi chez un homme qui croyait le langage déserté et le soi improbable; déposer ainsi l'œuvre protéiforme d'un noteur invétéré, d'un homme de lettres foisonnantes, de poèmes insitués, de chroniques époustouflantes; retourner sur elle-même, encore, l'écriture d'un homme qui avait fait le presque vœu de ne pas écrire, sauf dans ces moments d'absence à lui-même où la posture d'écrivain venait à glisser: voilà qui peut sembler proche de la trahison. Il faut pourtant suivre ce risque de figer dans une configuration l'homme qui a pris soin de défigurer tous les rôles de composition, depuis l'abandon du théâtre jusqu'à son effacement hors de toutes les théâtralisations de la vie; qui aura cherché à s'installer au cœur de la parole, faisant vœu de décapitaliser le langage, d'appauvrir l'approche, de débarbeler l'humilité de la sensibilité, de simplifier l'arsenal de l'intelligence, dans le nu d'un langage et d'une pensée qui ne font que se chercher en essayant de rendre justice à la nudité d'une quête justement épousée.

Le fil sous l'anecdote, le sens d'une trajectoire et d'un souci de soi-même

Très tôt, dans une lettre adressée à Jean Grenier, Georges Perros confesse l'ambiguϊté constitutive de sa nature, mais qui ouvre la voie d'une dynamique existentielle fondamentale. La simplicité n'est pas son fait, dit-il, mais [End Page 19] on "n'est là que pour simplifier, se simplifier."2 Seulement, à ce vœu de dépouillement qui n'est pas sans rappeler le souci plotinien de sculpter sa propre statue en émondant ce qui touche à l'individualité la plus sensible, ou l'intention socratique de faire régner l'harmonie ergô kai logô d'un homme dont le prix de la vie tient à l'examen soutenu d'actions et de pensées conformes à son plus haut niveau d'unité mentale, Perros oppose la difficulté de l'entreprise. La vie sociale, et la fréquentation des autres, confesse-t-il, nous aident à gagner notre salut, mais à rebours, puisque tout nous invite à "chercher ailleurs le plus valable de notre nature,"3 dans ce qui doit plaire, hors de la spontanéité et du déploiement dans la fluidité quotidienne d'une personnalité qu'il nous faut quitter, quitte à nous déplaire, pour gagner l'assentiment général, et la reconnaissance partagée de ceux qui ont subi la même métamorphose de la désertion consentie. Ceux qui, comme dans le roman de cet ami lunaire que fut Henri Thomas, et qu'il retrouvait dans l'incompréhension générale, sont des déserteurs, mais qui ne désertent qu'en se désertant eux-mêmes, dans l'espace d'artifices communément bâti. Perros espère en l'amitié de Jean Grenier le coup de pouce d'une sollicitude qui devrait l'aider à se "tirer d'un malaise qui dure depuis que je ne sais quoi en moi s'est décidé à prendre le pas sur tout le reste."4 L'anonymat de la désignation ne suffit pas à éteindre la force de la résolution: c'est être soi-même, "être un,"5 qui détermine la visée finale d'un homme que n'indétermine que l'absence de tracé préfiguré du chemin à suivre, pour rejoindre cette identité espérée et manifestée. Mais la conviction ne faiblit pas; elle s'augmentera de la conscience de...

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