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  • Entre aphorisme et conversation
  • Pierre Pachet

Relisant les textes de Perros, je réentends cette voix railleuse, un peu métallique, ironique, à certains égards agressive, impatiente et cependant très affectueuse, très tendre. Une voix qui me donne l'impression que Georges Perros ou Poulot gardait en lui, peut-être pour la réserver à l'écrit, où elle abonde, ou à sa pensée silencieuse, le reste de son agressivité, de son amertume, qui était grande. De même je crois qu'une part de ce qu'il était, de sa vie mentale et de sa vie affective, est aussi restée tue. Je pense par exemple à cette très grande intelligence qu'il avait, un goût de penser, certes pas à proprement parler philosophique, mais un goût de penser, un goût pour la pensée aussi qui fait qu'il a essayé de lire Wittgenstein, et pas seulement parce que c'était Klossowski qui l'avait traduit. Il a beaucoup lu Heidegger (pas seulement les commentaires sur Hölderlin), intimidé sans doute, et en même temps sautant dedans. Il y a donc, là aussi, des choses qu'il a certainement gardées pour lui, par modestie, peut-être par intimidation devant les philosophes, peut-être aussi par orgueil. Il a sûrement aussi gardé pour lui une grande part de sa souffrance. William Cliff, poète et témoin de qualité, l'a connu un peu—jusqu'à la maladie et puis là il est resté à distance, mais ils ont continué de correspondre. Cliff écrit ceci:

Nous nous sommes écrit. Cette correspondance a duré jusqu'à sa mort. Je me souviens qu'il m'annonça l'horreur de cette maladie dont il devait trop tôt mourir. Mort prématurée et qui a tout détruit dans son cœur. Ç'a été un calvaire moral d'autant plus terrible qu'il ne voulait pas faire porter aux autres la moindre partie de son énorme souffrance.1 [End Page 7]

Cette phrase va loin, parce que, si l'on regarde ce que Perros a écrit pendant sa maladie, les lettres qu'il a envoyées, les poèmes même qu'il a écrits à ce moment-là—à la mort de Perros, Henri Thomas en avait publié un dans Le Monde qu'il avait gardé en mémoire, un poème très léger, très gai2—, on voit qu'une grande partie de ce qui nous touche, nous touche parce que ce n'est pas dit.

Ce dont je veux parler, c'est du rapport entre les écrits et la parole de Perros telle que je m'en souviens ou telle que d'autres en ont parlé. Je voudrais rendre sensible le contraste, la difficulté d'avoir à penser ensemble, d'une part, ce qui est ramassé, dense, qui est du côté de l'aphorisme, cette espèce de caillou de langage, de concrétion de langage marqué par l'esprit, et, d'autre part, la continuité fluide et liquide de la parole allant jusqu'au "bavardage"—mot que je ne me permettrais pas si Perros luimême ne l'utilisait souvent pour parler de ce qui menace dans la parole. Je cite à nouveau William Cliff, intimidé lors de leur première rencontre: "J'étais soulagé en entendant Perros. Il était extrêmement bavard . . . Nous nous promenions. Et il parlait. Il parlait sans arrêt." Il s'agit donc du rapport chez cet écrivain entre le discontinu et le continu, même si ces termes sont un peu abstraits. Le discontinu que sont ces éléments isolés qui s'imposent tout d'un coup, qui font saillie ou qui sont même des "saillies," comme on dit en français. Et d'un autre côté, le besoin d'une déchirante continuité, pourrait-on dire.

Je commence par les aphorismes parce qu'ils constituent une grande partie des Papiers collés : pas nécessairement ce qui retient le plus, mais ce qui est marqué au seau d'une intelligence si vive et du goût du brillant, de ce qui est profond, de ce qui essaie d'aller loin. Georges Lambrichs, qui a...

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