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  • Les Listes noires de 1944: pour une histoire littéraire de l'épuration par Jeanyves Guérin
  • Edward Ousselin
Les Listes noires de 1944: pour une histoire littéraire de l'épuration. Par Jeanyves Guérin. Paris: Presses Sorbonne nouvelle, 2016. 289 pp.

Plus de soixante-dix ans après la Libération, une de ses conséquences, l'épuration, soulève encore des polémiques. Comme le rappelle Jeanyves Guérin, 'l'épuration extra-judiciaire de l'été 1944 s'est soldée par neuf mille exécutions sommaires' (p. 137), et non cent mille, comme le voudrait une légende colportée par la presse d'extrême-droite. C'est plus spécifiquement à l'épuration dans le milieu littéraire qu'est consacré ce livre. Les deux 'listes noires de 1944'ontété dressées par le Comité national des écrivains (CNE), qui venait de sortir de la clandestinité et qui n'était pas encore complètement dominé par le Parti communiste. En effet, la présence d'auteurs qui n'étaient ni membres ni compagnons de route du Parti communiste, tels que Jean Paulhan ou François Mauriac, a initialement permis au CNE d'acquérir une légitimité morale et donc une certaine influence à l'intérieur et même au-delà du domaine littéraire. Avec les débuts de la guerre froide et la résurgence des clivages politiques parmi les mouvements issus de la Résistance, ce consensus apparent allait disparaître, tout comme les conséquences pratiques des activités du CNE: 'Les listes noires n'ont eu un effet dissuasif que deux ans durant' (p. 265). Guérin retrace l'historique de ces listes, tenant compte du fait que, sous le régime de Vichy, de nombreux écrivains avaientété censurés ou réduits au silence, que certains s'étaient trouvés contraints à l'exil et que d'autres avaient subi l'emprisonnement et la déportation. Cette 'première épuration entre 1940 et 1944'(p. 15) fut autrement plus vaste et plus féroce que celle qui a suivi la Libération, un fait qui n'a pas modéré les 'rancœurs' durables des écrivains listés en 1944, la plupart desquels, loin d'ébaucher une quelconque autocritique, se sont plus tard présentés comme d'innocentes victimes d'une machination injuste. En dehors des romans et des pièces de théâtre (voir le cas de Jean Anouilh, pp. 252–56)qui atténuent les responsabilités des auteurs collaborationnistes et exagèrent les punitions qui leur furent infligées après la Libération, la reconstitution d'une 'presse de combat' (p. 229) d'extrême-droite à partir de 1947 permit également à certains écrivains listés de poursuivre leur entreprise de réhabilitation, tout au moins auprès d'une partie de l'opinion publique. Le livre de Guérin inclut aussi ses propres listes, permettant de suivre ce qui est arrivé aux 'cent soixante-quatorze auteurs qui ont figuré sur l'une ou l'autre des listes noires' (p. 79). Plusieurs d'entre eux, ayant fait de belles carrières après la guerre, restent lus et connus de nos jours. D'autres, dont la carrièreétait le plus souvent déjàen déclin, sont tombés dans l'oubli. Les exemples les plus connus (Brasillach, Céline ou Drieu La Rochelle) ne sont pas nécessairement les plus représentatifs. Dans la plupart des cas, le fait d'avoirété listé n'a pas constitué une tare rédhibitoire. De nos jours, il est sans doute plus facile de distinguer entre les auteurs qui se sont contentés de participer aux relations [End Page 295] mondaines avec l'occupant et ceux qui étaient des collaborateurs actifs. L'existence des listes noires indique à quel point cette tâche était plus malaisée en 1944.

Edward Ousselin
Western Washington University
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