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  • L'Écriture de la prostitution dans l'œuvre de Marguerite Duras:écrire l'écart par Chloé Chouenollier
  • Marie-Chantal Killeen
L'Écriture de la prostitution dans l'œuvre de Marguerite Duras:écrire l'écart. Par Chloé Chouenollier. (Bibliothèque des lettres modernes, 47.) Paris: Lettres modernes Minard, 2015. 378 pp.

Victime profanée, courtisane intrigante ou putain au cœur d'or, les représentations littéraires de la prostituée tendent à ressasser des images d'Épinal. L'originalité de Marguerite Duras, comme le prouve à dessein Chloé Chouen-Ollier dans des pages denses mais riches, consiste à réhabiliter la prostitution de façon inédite en (re)sacralisant la figure de la prostituée, assimilée à une sorte de mystique proche des prêtresses de l'antiquité. Cette réflexion stimulante, nourrie d'une connaissance approfondie du corpus durassien, ne se borne pas simplement à retracer un réseau thématique obsédant dans l'œuvre. Entendue en termes d'écart par rapport aux normes, la prostitution tient lieu de principe poïétique qui catalyse la démarche créatrice de Duras, pour qui écrire, comme se prostituer, signifiait s'exposer au regard de tous. Force est d'admettre que le 'schéma prostitutionnel', pris ici au sens très large d'une écriture 'abjecte' qui s'attache à perturber les limites et la doxa, dilue parfois le propos, au risque d'escamoter la spécificité de son objet. Reste qu'en abordant la question de la prostitution sous cet angle plus vaste, Chouen-Ollier rend compte avec brio, au fil d'analyses stylistiques subtiles et pointues, de l'hybridité générique et de la singularité de l'idiome de Duras. Dans la première partie de son étude, elle recense les figures emblématiques du motif fantasmatique, à commencer par la sublime Anne-Marie Stretter qui s'offre 'à qui veut d'elle' (Duras, India Song, cite p. 46). Chouen-Ollier dresse ensuite la topographie des lieux clandestins où l'amour se fait dans l'anonymat, et où la triangulation, l'argent, voire la violence, servent à décupler le plaisir au lieu de l'entraver. Car comme le démontre bien le deuxième volet de l'ouvrage, intitulé 'Un enjeu métaphysique', la prostitution dans la forme retouchée et idéalisée que Duras lui prête n'a (presque) rien d'une transaction vénale. Grâce à elle, le désir circule dans l'œuvre tel un élan vers l'absolu qui rejoue indéfiniment le fantasme de la fusion des corps. Perçue autant comme don et abandon de soi que comme instrument de connaissance du monde et accueil de l'inconnu, la prostitution permettrait au sujet durassien de mieux se saisir en s'ouvrant au dehors. Elle participerait dès lors d'une quête identitaire aux accents éthiques, par laquelle s'élabore le rapport à autrui. Chouen-Ollier aborde enfin, à la lumière du cycle Yann Andréa, la question de la théâtralisation qui a aussi partie liée avec la prostitution. Or la mise en scène de la passe dans ces textes plus tardifs semble conduire à une impasse: voilant et dévoilant les corps dans le même mouvement, une pornographie paradoxale témoigne de l'impossibilité à faire advenir le désir entre homme et femme. La jouissance fait ainsi office de tache aveugle dans des récitsépurés et troués de silences. Les amateurs de Duras liront avec profit cet ouvrage dont l'apport majeur est sans doute de montrer comment l'écrivaine, s'autorisant toutes les audaces, 'débauche' la langue afin de faire résonner le dire de la prostitution.

Marie-Chantal Killeen
Lady Margaret Hall, Oxford
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