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  • Désir et sexualités non normatives au Maghreb et dans la diaspora
  • Domingo Pujante González (bio)

À tous les jeunes, Maghrébins ou pas, qui se découvrent homosexuels. Puissent-ils y puiser le courage de résister à tous ceux qui tenteront de les faire rentrer dans le rang de ce qu'ils considèrent comme la normalité.

(Naït-Balk 2009 : 12)

À tous les homosexuels musulmans qui sont sur le point, je l'espère, de trouver la voie qui les mènera à la libération de leurs souffrances.

(Zahed 2012 : 7)

Nord/Sud

Les pays méditerranéens et, plus particulièrement, maghrébins représentent traditionnellement, dans les imaginaires collectifs, des territoires propices à l'érotisme (souvent exotique), voire à l'homoérotisme, et à certaines pratiques liées à la prostitution féminine ou masculine – plus ou moins cachées ou acceptées socialement selon les contextes. Néanmoins, ce sont des sociétés où perdure une longue tradition d'interdits et de refus. La situation que nous venons de décrire concerne tout particulièrement l'expression des sexualités non normatives, plurielles ou « marginales », parmi lesquelles nous incluons également les pratiques sexuelles féminines fortement censurées (comme les relations avant le mariage ou la stigmatisation dont sont victimes les mères célibataires), ainsi que la sexualité précoce, souvent avec des adultes. Cette réalité va de pair avec un grand manque de visibilité, de revendications sociales et une absence de mouvements associatifs féministes ou LGBT. Cela est dû, entre autres, à l'énorme influence de la [End Page 1] religion et à son contrôle sur la vie civile, ainsi qu'à certaines involutions politiques.

En 2010, la revue L'Année du Maghreb a consacré un dossier aux « Sexualités au Maghreb » du point de vue sociologique. Les coordinateurs, Valérie Beaumont, Corinne Cauvin Verner et François Pouillon, mettaient en évidence que c'était la première fois, depuis un demi-siècle, que cette revue, et auparavant l'Annuaire de l'Afrique du Nord, consacrait un dossier de recherche à la sexualité, alors que ces publications s'étaient souciées « de saisir les mouvements sociaux contemporains au Maghreb » (Beaumont, Cauvin Verner et Pouillon 2010 : 1). Cela ne voulait pas dire pour autant que la sexualité n'ait pas été présente dans les études sociologiques concernant le Maghreb, mais elle a été souvent utilisée pour aiguiser le débat autour des oppositions et des confrontations entre les discours occidentaux et musulmans notamment concernant les femmes, la mixité et l'égalité. Cette dichotomie réductrice des deux côtés entre « hédonisme moderne occidental » et « éthique conforme à des traditions et valeurs islamiques » ne faisait que contribuer à « essentialiser des rapports sociaux, des normes et des codes de conduite infiniment divers » (ibid.). Cela dit, nul ne saurait nier que le développement académique des cultural studies, des gender studies et des postcolonial studies, d'abord aux États-Unis puis ensuite en Europe et un peu partout dans le monde, a contribué à répandre des courants d'analyse situant la sexualité au centre de leurs réflexions, une idéologie parfois floue qui risque de devenir un effet de mode mettant sous sédatif son caractère et sa fonction politique.

En ce sens, le travail de l'anthropologue québécoise Valérie Beaumont est novateur. S'interrogeant spécifiquement sur la construction d'identités orientées vers l'exclusivité homosexuelle au Maghreb, Beaumont souligne le danger d'une redéfinition réductrice et uniformisante des identités homosexuelles alors que les homosexuels des sociétés occidentales et maghrébines « pour des raisons sociales, historiques et culturelles, n'envisagent pas toujours les rapports d'ordre affectif et sexuel entre hommes de la même manière » (Beaumont 2010 : 2). C'est ainsi qu'elle affirme que la « dichotomie actif/passif prend, au Maghreb, le pas sur la dichotomie hétérosexuel/homosexuel » (1). Cela dit, cette dernière distinction « qui est d'ailleurs relativement récente dans l'histoire sociale occidentale, n'est pas absente du terrain maghrébin, notamment en milieux urbains et bourgeois » (ibid.). Pour Beaumont, femme et étrang...

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