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  • Les Fictions encyclopédiques: de Gustave Flaubert à Pierre Senges by Laurent Demanze
  • André Benhaïm
Les Fictions encyclopédiques: de Gustave Flaubert à Pierre Senges. Par Laurent Demanze. (Les Essais.) Paris: Corti, 2015. 352 pp.

Le titre que Laurent Demanze donne à son livre ne rend pas hommage à son projet: il ne s'agit pas d'envisager l'héritage de Bouvard et Pécuchet depuis sa publication, mais de voir comment l'œuvre ultime de Flaubert permet d'invoquer 'les possibles' de la littérature contemporaine. En particulier, Demanze pose aux auteurs les plus proches de nous la question flaubertienne de 'la débauche d'érudition' (p. 13) en tant qu'elle explore les frottements entre le langage et le savoir. L'organisation du livre, très sage, est faite de trois parties faites de chapitres où se côtoient Stéphane Audeguy, Roland Barthes, Pierre Bergounioux, Jean-Marie Blas de Roblès, Didier Blonde, Jorge Luis Borges, Roger Caillois, Annie Ernaux, Gérard Genette, Hubert Haddad, Camille Laurens, Gérard Macé, Patrick Mauriès, Georges Perec, Raymond Queneau, Pascal Quignard, Olivier Rolin, Pierre Senges, certains parfois convoqués plus d'une fois. Dénuée des éléments critiques, des questions que l'auteur trouve pour l'articuler avec intelligence, cette liste, réduite à une simple énumération peut susciter le vertige. C'est précisément ce sentiment d'angoisse que Demanze interroge le plus souvent dans son questionnement de l'encyclopédisme, une anxiété vécue par le lecteur démuni par un savoir exposé avec une minutie tyrannique. L'intelligence de l'analyse fait de son mieux pour nous protéger de cette déréliction. Mais l'hétéroclisme du corpus et l'érudition herméneutique sont des risques dont est tout à fait conscient l'auteur qui peut sembler s'adonner parfois trop lui-même à 'l'ivresse de l'inventaire' (p. 10). Et l'on peut regretter que, dans un livre dédié au legs de Flaubert, à la postérité de sa dénonciation de la bêtise savante et son éloge du style avant et par-dessus tout, le critique n'ait pas choisi de lui-même se frotter davantage à la langue; qu'il n'ait pas saisi l'occasion pour remettre en question la tâche, souvent trop subie et mortifère de la critique dite littéraire et, pour répondre au projet flaubertien d'une 'encyclopédie critique en farce', Demanze ait manqué de proposer une critique encyclopédique [End Page 155] en fantaisie. Car le livre est de toute évidence très sérieux. Trop, sans doute, à l'instar de la lugubre couverture gris-macabre qui habille la collection 'Les Essais' de José Corti. Mais que cela ne vous décourage pas, lecteur! Si la critique de création aurait bien sis aux émules de Flaubert, peut-être n'est-ce pas le rôle du critique de se faire l'écho des livres qui l'inspirent. L'ouvrage, donc, est éclairant, offrant à nos regards parfois abrutis par la surinformation ambiante une vision décapante de la littérature de maintenant, qui propose une 'encyclopédie à mesure humaine' faite pour un 'usage intime' et comme 'exercice mental' (p. 323), une littérature dont les voix ont, en chœur sinon de concert, ouvert une voie parfois chaotique pour un savoir qui a appris à embrasser l'incertitude et des œuvres qui savent faire l'éloge de l'inachèvement.

André Benhaïm
Princeton University
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