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  • Éros et Chronos: étude sur la temporalité dans le libertinage de Crébillon fils by Marie Loiseau
  • Valérie André
Éros et Chronos: étude sur la temporalité dans le libertinage de Crébillon fils. Par Marie Loiseau. (Essais, 41.) Paris: Honoré Champion, 2015. 189 pp.

La relation étroite qui unit littérature et temporalité est fondamentale. Le dix-huitième siècle, hanté par une aspiration au bonheur généralisée dont Robert Mauzi a montré la grande complexité, ne cesse de s'interroger sur la relation que l'être humain entretient avec le sentiment de sa propre finitude. La fiction trahit les préoccupations de son siècle, la question de la temporalité s'y déploie sur les modes les plus divers, du badinage mondain à la dissertation métaphysique. Le roman libertin mondain, dont l'œuvre de [End Page 112] Crébillon fils constitue l'indéniable paradigme, est un lieu de discours privilégié pour l'expression d'une telle dialectique. La critique ne s'y est pas trompée, les travaux des spécialistes, à la suite de Jean Sgard et de Colette Cazenobe, sont nombreux à avoir souligné l'importance du 'moment' libertin, omniprésent dans les titres, les illustrations, la narration tout entière. L'ouvrage de Marie Loiseau s'inscrit donc dans la ligne tracée par ses prédécesseurs. S'il n'aborde pas le libertinage crébillonien sous 'l'angle neuf' annoncé par la quatrième de couverture, l'essai a le mérite de revisiter la problématique. Les personnages apparaissent soumis à une perception subjective de la temporalité, écartelée 'entre fulgurance du moment et lenteurs de l'ennui' (p. 86). Assorti d'une bibliographie hélas un peu légère, ce livre aborde successivement la notion de 'moment', caractéristique de l'investissement du présent, l'insatisfaction perpétuelle et la nostalgie d'un idéal inaccessible, la projection anxiogène vers l'inévitable sortie de scène qui conduit les petits-maîtres à s'étourdir dans la répétition, réduit les femmes galantes à tromper les outrages du temps en recourant à de bien piètres artifices. Les premières sections rassemblent des réflexions un peu convenues, sans réelle originalité et trop souvent répétitives, à l'exception de l'identification du 'moment' avec le kairos antique, particulièrement convaincante, et des rapprochements tout à fait bienvenus avec la littérature courtoise et les codes de la temporalité. La seconde partie est indiscutablement la mieux réussie, en particulier le chapitre 2 consacré à la 'gestion des souvenirs', instrumentalisés dans la stratégie de séduction des différents protagonistes. La manipulation, voire l'invention du passé, permet aux personnages de s'installer une intimité qui sera le prélude à la reddition, involontaire ou consentie, de la victime avant de consacrer la victoire annoncée du petit-maître. On regrettera une expression un peu scolaire, notamment dans la manière de convoquer les sources secondaires, la présence de plusieurs maladresses syntaxiques et de coquilles qui affaiblissent la portée du texte. Quoi qu'il en soit, ce petit volume n'est pas dépourvu d'intérêt et constitue une belle introduction à l'œuvre de Crébillon fils.

Valérie André
FRS/FNRS — Université Libre de Bruxelles
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