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  • La fin des Indigènes en Nouvelle-Calédonie. Le colonial à l'épreuve du politique, 1946-1976 by Éric Soriano
  • Benoît Trépied
Éric Soriano La fin des Indigènes en Nouvelle-Calédonie. Le colonial à l'épreuve du politique, 1946-1976 Paris/Montpellier, Karthala/Msh-M, 2014, 321 p.

La publication de l'ouvrage d'Éric Soriano est un événement dans l'historiographie de la Nouvelle-Calédonie: il s'agit du premier travail en socio-histoire du politique réalisé sur ce terrain «exotique» longtemps dévolu aux seuls anthropologues. Issu d'une thèse de science politique soutenue en 2001, ce livre tire tout le profit du croisement réalisé entre, d'une part, la socio-histoire du vote et de la professionnalisation politique et, d'autre part, les nombreuses recherches menées depuis une quinzaine d'années sur le fait colonial en Nouvelle-Calédonie et au-delà. Il faut d'emblée saluer ce travail d'actualisation problématique et de réexamen critique de matériaux produits une décennie plus tôt, qui fait de La fin des Indigènes un ouvrage inédit, percutant et suggestif pour quiconque s'intéresse aux activités électorales, militantes et institutionnelles en situation coloniale.

Si la Nouvelle-Calédonie constitue un cas limite exemplaire pour «mettre le rapport colonial à l'épreuve du politique» (p. 20), c'est parce que, en 1946, au moment où les indigènes mélanésiens deviennent citoyens français, il s'est déjà écoulé plus d'un siècle d'une colonisation particulièrement violente (dépopulation, spoliations foncières, répressions sanglantes, mises en «réserve», régime de l'indigénat, etc.). Or les colonisés ne se révoltent pas. Démographiquement majoritaires, ils ne prennent pas plus le pouvoir par les urnes contre les colons blancs, malgré un collège électoral unique. «C'est à croire que le cadre démocratique a fini par produire du consentement colonial […], comme si cette pratique [le suffrage universel] avait été le lieu de l'ordre colonial» (p. 21). Toute la recherche d'É. Soriano consiste à dénouer sociologiquement ce paradoxe apparent en saisissant «ce que furent les conditions d'impossibilité d'une révolte et d'une revendication identitaire» (p. 33).

Ces deux derniers éléments sont inséparables en Nouvelle-Calédonie, où le tournant indépendantiste des années 1970 a reposé sur l'affirmation d'une identité commune à tous les colonisés, l'identité kanake. Pourtant, en 1996, un ancien élu mélanésien des années 1950 confie à l'auteur cette parole étrange: «Je n'ai pas toujours été kanak» (p. 33). Cette historicisation radicale de la catégorie kanake conduit É. Soriano à se focaliser sur un moment singulier de l'histoire calédonienne: celui de [End Page 1051] l'exercice de la citoyenneté en situation coloniale, entre la fin du régime de l'indigénat (1946) et le virage nationaliste (années 1970).

L'auteur prend plus précisément pour objet les trajectoires sociales et les expériences politiques de la première génération de Mélanésiens qui commence à «faire de la politique», à militer dans les organisations partisanes et à se faire élire à l'Assemblée territoriale. Il s'appuie sur le dépouillement de plusieurs fonds d'archives (sources administratives, religieuses, partisanes, etc.), sur la réalisation d'entretiens biographiques approfondis et sur l'établissement d'une prosopographie des quarante-sept conseillers territoriaux mélanésiens élus avant 1977. Les dix chapitres de l'ouvrage, regroupés en trois parties faisant suite à un premier chapitre introductif, examinent successivement les logiques du vote mélanésien, les trajectoires des élus et les principaux débats à leur propos. Le vote, les élus, les enjeux: c'est par ces trois entrées qu'É. Soriano parvient à rendre compte de la non-révolte des Mélanésiens concomitante à leur entrée en politique.

Dès les années 1950, la participation électorale se révèle élevée dans les «tribus», mais elle n'entraîne pas de remise en cause de l'héritage colonial. La grande majorit...

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