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  • L'espoir et l'effroi. Luttes d'écritures et luttes de classes en France au XXe siècle by Xavier Vigna
  • Nathalie Ponsard
Xavier Vigna L'espoir et l'effroi. Luttes d'écritures et luttes de classes en France au xxe siècle Paris, La Découverte, 2016, 319 p.

Nul doute qu'avec cet ouvrage, Xavier Vigna propose un projet original et intellectuellement stimulant. Contribuant une nouvelle fois à l'histoire du monde ouvrier en France au xxe siècle, il veut construire une histoire politique et sociale de «l'écriture sur le monde ouvrier» (p. 12) dont l'approche s'écarte des chemins tracés jusque-là. En effet, l'auteur relève le défi de croiser, voire de confronter, des écritures de la classe ouvrière et des écritures sur elle, au moment de la «centralité ouvrière». Il place au cœur du projet l'inter-textualité de textes divers qui, portant sur le monde ouvrier et dotés d'une finalité politique, se répondent et contribuent aux «luttes de classe», une notion qui recouvre seulement partiellement l'opposition du travail et du capital.

D'une part, X. Vigna s'appuie sur un corpus d'enquêtes sur le monde ouvrier, que cellesci émanent des administrations d'État, du monde patronal ou catholique, qu'elles aient été construites dans le champ de la sociologie ou écrites par des auteurs issus des classes dominantes, qui s'inscrivent dans la lignée des discours élitaires des années 1830 assimilant les ouvriers à des barbares. D'autre part, il a fait le choix d'un ensemble d'autobiographies, de témoignages, de fictions et de récits militants de scripteurs variés, qui écrivent sur le monde ouvrier sans pour autant être nés ou être restés dans ce milieu social. Dans ces deux catégories diversifiées et marquées par des frontières poreuses, il s'agit justement pour l'auteur de prendre en compte le statut des énonciateurs et leur socialisation ainsi que les lieux, les temps et les modes d'énonciation. L'historien s'assigne deux objectifs: repérer les débats et les affrontements politiques autour [End Page 1037] du monde ouvrier afin de disséquer et même de déconstruire les discours pour mettre en valeur les manières dont les élites ont évalué et dévalué les ouvriers; étudier les usages de l'écrit par les travailleurs.

La première partie de l'ouvrage permet de saisir les grands moments des écritures ouvrières au xxe siècle, associés au déploiement de thématiques spécifiques. Ainsi, au cœur de la Première Guerre mondiale, l'auteur met l'accent sur l'écriture administrative à travers la multiplication des enquêtes impulsées par le ministre Albert Thomas, figure de proue des réformateurs sociaux, pour accroître la productivité mais aussi décrire les conditions de travail. Il cite alors des extraits de l'enquête menée par Maurice Halbwachs dans le Dauphiné et en Savoie1. L'auteur décèle dès cette période l'émergence d'une forte catégorisation de la main-d'œuvre, doublée de la circulation d'une ontologie raciale et raciste débouchant sur une appréciation négative que l'on retrouve souvent dans les discours patronaux. Puis, pendant l'entre-deux-guerres, la rationalisation ainsi que la progression du communisme deviennent des thématiques récurrentes tandis que s'affirme un temps de cristallisation des écritures ouvrières au moment du Front populaire, dans un double mouvement: le désir des intellectuels d'aller vers le peuple pour l'instruire et le dessein des ouvriers d'écrire pour raconter et transformer leurs conditions de travail.

L'après-guerre, perçue à travers deux points saillants – la guerre froide et la question communiste –, révèle une reconfiguration de l'enquête ouvrière autour des pôles sociologique, catholique et militant. L'auteur étudie alors précisément la construction de la notion de «nouvelle classe ouvrière». Il montre combien l'écriture policière porte la marque...

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