Ouvriers malgré tout. Enquête sur les ateliers de maintenance des trains de la Régie autonome des transports parisiens by Martin Thibault (review)

Que signifie l'entrée dans la condition d'ouvrier pour des jeunes hommes des années 2000? La question n'est pas insignifiante. Ce groupe social en déclin constitue encore le quart de la société active. Il accueille une nouvelle génération, tandis que son image naguère majeure a été malmenée au cours des dernières décennies. Le livre de Martin Thibault aborde cette question en étudiant des ouvriers à l'aube de leur carrière, dans le secteur des services qui compte la moitié des emplois de la catégorie. Pour effectuer un pas de côté par rapport à des figures plus traditionnelles, il se tourne vers une entreprise publique, la Régie autonome des transports parisiens (Ratp). Mais il s'en voit refuser l'entrée au motif que le sujet serait sans intérêt. Il persévère néanmoins et, s'appuyant sur quelques amis qui vivent cette expérience, il constitue de proche en proche un réseau d'ouvriers avec lesquels il entretient des relations plus ou moins étroites, dont certaines s'étendent sur huit ans. Les séquences de convivialité, les contacts incessants et surtout les entretiens approfondis et récurrents constituent la matière essentielle de la recherche dont la durée, comme le signale Olivier Schwartz dans sa préface, est un apport essentiel.

L'ouvrage est construit sur le schéma du parcours, organisé en trois séquences. S'intéressant d'abord aux représentations et aux attentes avant l'entrée à la Ratp, il commence par une étude des effets de la scolarisation. Plus que la sélection sociale, c'est ici l'allongement de la scolarité d'une partie des jeunes qui est mise en cause. L'auteur note en effet l'écart considérable, allant jusqu'à six ans, dans la durée des parcours scolaires et le contenu des espoirs qui leur correspondent. Surtout, il relève l'espérance forte de parcours sociaux sortant du monde ouvrier chez les jeunes et leur famille. Tous entendent échapper à la condition de leurs parents. L'usine fait fonction de repoussoir commun, par-delà d'importantes différences de représentation selon que les pères y ont été professionnels qualifiés ou ouvriers spécialisés astreints à la chaîne. Au contraire, la Ratp offre une image positive, dans laquelle la condition d'agent au statut stable et protégé est censée s'accompagner d'un travail maîtrisé et d'une promesse de carrière.

L'ouvrage étudie ensuite les ateliers dans lesquels travaillent les jeunes. Consacrés à la maintenance du matériel roulant, ils accueillent des activités de nettoyage, de révision ou de réparation. Les tâches confiées aux ouvriers qualifiés diffèrent sensiblement par leur richesse des travaux standardisés et répétitifs que doivent effectuer les ouvriers spécialisés. Tous, cependant, sont surpris par la force des astreintes matérielles, la médiocrité des conditions de travail, le poids des rapports hiérarchiques. L'auteur analyse quelques transformations qui affectent le secteur de maintenance dans lequel ils entrent. Il présente une intensification du travail de type taylorien dans laquelle le poids des anciens ouvriers et leurs traditions de travail sont attaqués. La transmission des savoirs pratiques des anciens aux nouveaux est battue en brèche par l'encadrement, tout comme les règles de promotion où les essais professionnels cèdent le pas à une évaluation des compétences par la hiérarchie. Une partie des jeunes est sensible aux nouvelles exigences de l'encadrement, et ceux d'entre eux qui disposent d'une formation longue sont incités à viser une promotion. Dans quelques ateliers, l'emprise syndicale, marquée par un discours de lutte de...