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Reviewed by:
  • Dénaturalisés. Les retraits de nationalité sous Vichy by Claire Zalc
  • Anne Simonin
Claire Zalc Dénaturalisés. Les retraits de nationalité sous Vichy Paris, Éd. du Seuil, 2016, 388 p.

Le 22 juillet 1940, onze jours après le coup d'État légal qui instaure à la place de la République une dictature – l'État français ayant désormais à sa tête un «chef», le maréchal Pétain –, est publiée au Journal officiel une loi lapidaire se déclinant en trois articles. Celleci annonce «la révision de toutes les acquisitions de nationalité française intervenues depuis la loi du 10 août 1927 sur la nationalité». Après l'article pionnier de Bernard Laguerre1, Claire Zalc consacre la première étude approfondie aux dénaturalisations sous Vichy, une politique qui visait 648 000 personnes, en réalité près d'un million d'individus si l'on tient compte de l'ensemble des procédures d'accès à la nationalité française en vigueur sous la République.

Les objectifs initiaux du gouvernement de Vichy en matière de dénaturalisation sont très élevés. Ainsi que devait le déclarer le président de la Commission de révision des naturalisations, le conseiller d'État Jean-Marie Roussel, lors de son procès devant la Haute Cour de justice en 1945: «Le garde des Sceaux [Raphaël Alibert] entrevoyait […] une opération probablement assez massive, et il m'avait parlé, sans vouloir d'ailleurs me fixer des chiffres, de dénaturalisations pouvant porter sur 70 à 80 % de l'effectif des naturalisés» (p. 55), soit entre 700 et 800 000 personnes. Le régime ne parviendra pas à dénaturaliser plus de 15 000 personnes. Dans un pays assommé par la plus grande défaite militaire de son histoire, le gouvernement de Vichy s'emploie de façon prioritaire à éliminer de la communauté nationale non les généraux et les responsables militaires qui ont perdu la guerre mais les «mauvais» Françaises et Français qui n'ont pas permis de la gagner… Dénaturaliser, ou comment faire payer [End Page 1029] des innocents en épargnant les coupables et en jetant un voile sur les vraies questions à propos de la défaite militaire de la France.

La chronologie fine de la prise de décision que propose C. Zalc est fondamentale. On admet généralement que la dissociation entre l'opinion publique française et le régime de Vichy, nimbé de l'aura de l'homme providentiel (le vainqueur de Verdun), se produit vers l'été 1941. Pétain s'en fait l'écho lors de son fameux discours sur le «vent mauvais» du 12 août 1941: «Français, j'ai des choses graves à vous dire. De plusieurs régions de France, je sens se lever depuis quelques semaines, un vent mauvais. L'inquiétude gagne les esprits, le doute s'empare des âmes. L'autorité de mon gouvernement est discutée2.» Il aurait donc fallu une année à l'opinion publique française pour devenir critique vis-à-vis du gouvernement de Vichy. Vu les circonstances historiques, un an peut paraître court, mais à la lecture de l'ouvrage de C. Zalc, c'est une éternité.

Le gouvernement de Vichy, en affichant comme prioritaire dès juillet 1940 la dénaturalisation massive de Français et de Françaises, promeut une politique rétroactive qui porte atteinte à la fois à la Déclaration des droits de l'homme, au Code civil et au code pénal. La Révolution dite «nationale» s'avoue sans ambages pour ce qu'elle est: la plus grande entreprise contre-révolutionnaire jamais imaginée depuis 1815 – et encore la Charte de 1814 (art. 68) considérait-elle comme intouchable le Code civil… C'est l'un des grands apports du livre de C. Zalc que de mettre en lumière et d'argumenter la radicalité extrême du premier Vichy indépendamment de la situation de guerre et des interférences de l'occupant nazi. Cette radicalité est endogène, portée par un projet idéologique ultra-antir...

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