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Reviewed by:
  • Itinéraires aborigènes. Histoire des relations raciales dans le Sud-Est australien by Bastien Bosa
  • Éric Wittersheim
Bastien Bosa Itinéraires aborigènes. Histoire des relations raciales dans le Sud-Est australien Paris, Karthala, 2012, 657 p.

Relativement peu de travaux ont été menés sur les luttes et les résistances aborigènes, ainsi que sur les hommes et les femmes qui les ont conduites. Bastien Bosa est l'un tout des premiers chercheurs à étudier aussi méticuleusement la politisation des Aborigènes et leurs luttes au niveau national depuis les années 1970, mais surtout le processus de ségrégation qui a été mis en œuvre. Une réalité sociale si méconnue que l'historien William Stanner a pu parler de «grand silence australien» à ce sujet1. Les recherches sur les Aborigènes sont en effet dominées, en Australie mais aussi en France, par une anthropologie plutôt intéressée par leurs systèmes de parenté et leur conception originale du temps et de l'espace, évoquée sous le terme étrange de dreaming ou dream time (le «temps du rêve»). Cette perspective est absente de l'ouvrage de B. Bosa, tiré de sa thèse de doctorat: selon lui, en se focalisant sur les conceptions bien particulières de l'espace et du temps des premiers habitants de l'Australie, l'anthropologie aurait contribué à enfermer les Aborigènes dans un monde «hors du temps» et immatériel.

Anthropologue formé à l'interdisciplinarité, B. Bosa jette donc un pavé dans la mare [End Page 1053] des études australianistes avec cet ouvrage qui propose une approche résolument historique des Aborigènes. L'auteur a dans un premier temps mené une enquête ethnographique d'un an auprès de militants politiques aborigènes à Melbourne, une enquête nourrie par de longs entretiens biographiques et par l'amitié qu'il a nouée avec Gary Foley, l'un des militants historiques du mouvement. Cet homme a joué un rôle clé dans cette recherche: d'abord en facilitant la socialisation de l'anthropologue au sein de ce réseau de militants aborigènes du Sud-Ouest de l'Australie, puis en permettant qu'il ait accès à des archives encore classées du département des «affaires aborigènes».

Dans un second temps, B. Bosa a en effet mis à profit sa formation interdisciplinaire pour se muer en historien. Ou plutôt pour «faire de l'anthropologie à partir des archives», en interrogeant ces documents administratifs «à rebrousse-poil», portant sur eux un regard ethnographique pas très éloigné des propositions des micro-historiens italiens («un terrain de papier», p. 38). Il s'est en effet plongé dans les archives de l'Aboriginal Protection Board (APB), en charge des affaires aborigènes, et en particulier de la scolarisation et du placement dans des familles blanches. Il y a retrouvé les traces, nombreuses et édifiantes, de ces premiers militants politiques aborigènes; ce qui lui a permis d'écrire l'histoire, jusqu'ici très lacunaire, de la mise en place du système de ségrégation étatique qui les a conduits à se radicaliser. Repérés et choisis pour constituer une élite éclairée et avant-gardiste, les jeunes Aborigènes orientés et accompagnés par l'Apb dans les années 1950-1960 sont devenus de farouches opposants à la politique d'assimilation, participant même à la constitution d'un mouvement de revendication aborigène national. Certains de ces militants, dont Foley, appartenaient au petit groupe d'irréductibles qui a contesté la souveraineté territoriale de l'État australien en installant dès 1972 une «tenteambassade» devant le parlement fédéral à Canberra. Le coup d'État (symbolique) permanent que représente cette tente-ambassade, constituée aujourd'hui d'un ensemble de tentes et de militants installé de manière durable, représente toujours un emblème de la revendication des droits des Aborigènes.

Cette double enquête, faite d'allersretours entre le terrain et les archives (une démarche proche de celle de l'historienne Isabelle Merle2), lui permet de composer peu à peu un tableau de l'évolution...

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