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  • Le baptême forcé des enfants juifs. Question scolastique, enjeu politique, échos contemporains by Elsa Marmursztejn
  • Juliette Sibon
Elsa Marmursztejn Le baptême forcé des enfants juifs. Question scolastique, enjeu politique, échos contemporains Paris, Les Belles Lettres, 2016, 551 p.

Fruit du mémoire inédit de son habilitation à diriger des recherches, le livre qu'Elsa Marmursztejn consacre au baptême forcé des enfants juifs à partir des sources latines des xiiie et xive siècles suscite l'admiration à plus d'un titre: par la maîtrise des quodlibeta, corpus riche et complexe1, qu'elle confronte avec succès à un éventail de sources de natures juridique et littéraire; par la profondeur des débats historiographiques auxquels elle prend part (sur la question du suicide et du martyre, par exemple, parmi Israel Yuval, Ivan Marcus, David Malkiel, Kenneth Stow et d'autres); par l'inscription de sa réflexion dans la longue durée, qu'elle développe sans anachronisme ni téléologie dans un chapitre liminaire, avec sensibilité mais sans tentation des larmes; par la démonstration du rôle du médiéviste dans la cité et dans la compréhension des événements de son temps; par l'objet du livre, enfin, celui d'enfants juifs arrachés à leur famille d'origine pour être baptisés.

En théorie, le christianisme condamne le baptême forcé. Ainsi, celui des enfants contre la volonté de leurs parents restés juifs peut-il être valide? Les enfants extraits et coupés de leur milieu d'origine peuvent-ils devenir d'authentiques chrétiens? Après tout, le baptême forcé des enfants juifs ne relève-t-il pas de l'injonction fondamentale d'aimer, puisqu'il destine les enfants au salut? Ces réflexions sont introduites dans les discussions quodlibétiques à partir du xiiie siècle. Étude d'anthropologie scolastique, le livre envisage les débats des franciscains dans les réalités de leur temps, confrontés aux canons conciliaires, aux décisions pontificales, à la législation des princes, aux récits historiques ou exemplaires. L'éventail des sources médiévales gagnerait à embrasser les documents dits de la pratique datés des derniers siècles du Moyen Âge, à l'instar des registres de la chancellerie de la couronne d'Aragon ou des actes notariés de Puigcerdà, étudiés respectivement par Claire Soussen et Claude Denjean2, et qui se font les échos concrets des débats des clercs. Le corpus médiéval est riche, complété par des sources datées de l'époque des royaumes barbares jusqu'à la seconde moitié du xxe siècle. Ainsi, La guerre aux enfants d'Alexis Danan, série d'articles parus dans Libération en 1944, Austerlitz de Winfried Georg Sebald ou encore Histoire d'une vie d'Aharon Appelfeld sont autant d'œuvres contemporaines qui sont passées au crible de la grille de lecture de la médiéviste.

Le baptême forcé des enfants juifs suscite une controverse scolastique à partir des années 1270-1340, qui se prolonge dans les siècles suivants. Le débat est structuré par le clivage entre les tenants de la position de Thomas d'Aquin et ceux des théories de Jean Duns Scot. Les thomistes récusent la licéité des baptêmes forcés à partir de réflexions sur le statut de l'enfant, le droit des parents, le lien matrimonial, l'autorité de l'Église et de sa coutume ainsi que la servitude des juifs. Les scotistes, quant à eux, se fondent sur une démonstration juridique et politique pour justifier le baptême forcé des enfants, comme celui des adultes d'ailleurs. Pour Duns Scot, en effet, dans la hiérarchie des puissances, le droit des parents est tenu pour négligeable. Et puisque les parents n'ont aucun droit sur les enfants, le rapt de ces derniers en vue de les convertir ne saurait constituer une violence faite aux juifs. Les théories de Duns Scot n'emportent pas l'adhésion immédiatement. Ses premiers disciples ne le suivent pas et ses thèses ne sauraient...

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