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  • Des communautés mouvantes. Les «sociétés des frères chrétiens» en Rhénanie du Nord: Juliers, Berg, Cologne vers 1530-1694 by Mathilde Monge
  • Christophe Duhamelle
Mathilde Monge Des communautés mouvantes. Les «sociétés des frères chrétiens» en Rhénanie du Nord: Juliers, Berg, Cologne vers 1530-1694 Genève, Droz, 2015, xi- 316 p.

Tout devrait être simple en Allemagne aux xvie et xviie siècles: les anabaptistes, condamnés par le droit d'Empire, pourchassés par les catholiques et les protestants, ne pourraient sortir d'une clandestinité radicale que pour être exécutés. Le mérite de l'important ouvrage de Mathilde Monge est de réviser cette image et de rétablir les continuités du monde social derrière les règles gouvernant la pluralité et la confrontation confessionnelles du Saint-Empire. L'étude repose sur une enquête documentaire qui a permis d'identifier 724 anabaptistes (dont 279 à Cologne) et, grâce à des textes exceptionnels comme l'interrogatoire de 63 personnes arrêtées en 1565 à l'occasion d'un prêche clandestin dans une vigne des environs de Cologne, d'explorer en nuances la diversité et l'insertion sociale d'un groupe mouvant, en contournant le piège d'une documentation qui, étant produite pour exclure, suscite elle-même l'image de l'exclusion.

Cette primauté des sources répressives conduit logiquement l'auteure à débuter par l'histoire et les modalités de la persécution. Dès 1529, les anabaptistes font l'objet d'une condamnation sans appel par le droit impérial, ce qui donne à tous les territoires l'occasion d'élever la lutte contre l'hérésie au rang de leurs prérogatives. Mais comment dévoiler l'hérétique? La question du baptême des adultes ne suffit pas à débrouiller un ensemble de croyances sur lequel les autorités peinent à s'accorder – d'autant que catholiques et protestants ne définissent l'anabaptiste que pour mieux dénoncer ce qui, à leurs yeux respectifs, rapproche le camp adverse de cet épouvantail. En outre, la recherche des anabaptistes prend rarement l'aspect d'un effort concerté. Elle se dilue au contraire dans les arcanes des droits concurrents et s'endort dans une «politique d'ignorance feinte» (p. 75), surtout à l'échelle locale. La répression est certes bien réelle et débouche sur des exécutions qui nourrissent chez les anabaptistes une culture mémorielle croissante vouée au souvenir des martyrs, tel le Colonais Thomas von Imbroich, dont le supplice est encore raconté de nos jours chez les Amish de Pennsylvanie. Mais cette répression, qui se révèle sporadique, se solde surtout par des expulsions (lesquelles, dans l'empire fragmenté, signifient souvent un «exil» de quelques kilomètres seulement), d'autant qu'elle n'est pas portée par une demande sociale; les dénonciations sont rares. Le «silence des populations» (p. 112) contribue à l'invisibilité des anabaptistes – et donc à la difficulté de l'entreprise menée par l'auteure.

Car ces chrétiens, par bien des aspects, se distinguent peu de leurs voisins. Ceux qui les interrogent retrouvent dans leurs professions de foi des doutes que partagent nombre d'habitants de cette basse Rhénanie travaillée, depuis le Moyen Âge, par des mouvements de réforme religieuse et marquée, au xvie siècle, par une certaine indistinction confessionnelle – les ducs de Juliers-Clèves, sans rompre avec Rome, [End Page 1008] adoptent la communion sous les deux espèces par exemple. Et les Pays-Bas, ferments de novation religieuse, ne sont pas loin. Les anabaptistes vivent au milieu des autres et ils sont de toutes les couches sociales, leur utilité économique est même soulignée par un bailli qui conseille de souffrir leur présence. C'est en effet auprès d'officiers locaux, de certains réseaux aristocratiques, de plusieurs curés qu'ils trouvent sinon un soutien direct, du moins une protection leur permettant non pas de passer inaperçus, mais de rester le plus souvent inattaqués.

Eux-mêmes, ces «fr...

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