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  • L'Homme altéré. Races et dégénérescence (XVIIe–XIXe siècles) by Claude-Olivier Doron
  • Magali Bessone
L'Homme altéré. Races et dégénérescence (XVIIe–XIXe siècles) Claude-Olivier Doron Ceyzérieu: Champ Vallon, 2016, 587 p., 29€

Dans cet ouvrage monumental, Claude-Olivier Doron démontre qu'une « histoire épistémologique » du concept de race conduit à faire surgir l'importance d'un prisme de lecture trop ignoré, celui de la dégénérescence, et plus précisément encore, de l'altération. La dimension épistémologique relève d'abord d'un choix de méthode : [End Page 275] elle s'appuie sur un « principe de positivité discursive » (p. 30) et les configurations discursives étudiées le sont de manière synchronique. C.-O. Doron étudie la signification de la race telle qu'on peut la trouver dans des énoncés qui mobilisent explicitement le terme et où il fait partie d'un système de jeux de discours ou de grammaires adressant de manière relativement cohérente des problèmes et des pratiques déterminés.

Croiser ainsi race et altération lui permet d'opérer plusieurs ruptures décisives par rapport à une historiographie de la race et du racisme plus classique et dominante dans les sciences sociales actuelles, qui comprend la race presque exclusivement à partir du prisme de l'altérité essentialisante. Par contraste, l'altération permet de « mettre en tension l'identité et la différence » (p. 7). Observer ou repérer la diversité entre différents groupes humains et la traduire en « races » est un geste épistémique dont l'histoire montre qu'il ne saurait être seulement rapporté à la représentation d'une altérité radicale entre ces groupes – altérité qui serait fondée sur l'attribution de caractéristiques collectives originelles, biologiques ou morales, fixes et définitives. Il correspond plutôt au résultat de la recherche d'un processus de différenciation qui s'opère à partir d'une identité commune admise comme telle, identité qui sert d'aune à partir de laquelle la différence est évaluée comme un état de dégénération (pour le mieux ou pour le pire).

Substituer l'altération à l'altérité dans l'analyse du sens et des usages de la race n'est en rien un parti-pris herméneutique arbitraire, montre C.-O. Doron, mais la conséquence de l'enquête historique sur les usages discursifs du concept, menée, et très précisément documentée au fil des chapitres, à partir du début du 17e siècle, dans plusieurs champs différents : l'histoire spirituelle de l'homme ou l'histoire sacrée (chapitre 1), les généalogies nobiliaires (chapitre 2), les récits de voyage (chapitre 3), enfin les pratiques d'élevage et la zootechnie (chapitres 4 et 5). Elle fait apparaître, sans postuler une continuité linéaire dans le développement du concept, plusieurs configurations où le concept de race se constitue progressivement et se rend disponible pour devenir un « concept à prétention scientifique » (p. 289) dans un « genre discursif particulier » (p. 291), celui de l'histoire naturelle de l'homme qui s'élabore à partir du milieu du 18e siècle en France. Les chapitres 6 et 7 décrivent la constitution et les règles de fonctionnement de ce genre discursif et mettent au jour notamment trois « styles de raisonnement différents » (p. 295) en son sein : le style « anatomo-classificatoire » qui vise à décrire les particularités anatomiques et à les utiliser pour classer les groupes [End Page 276] d'hommes en un tableau statique ; le style « généalogique » qui repère les origines communes et les dérivations à partir de la transmission des caractères et organise les différences en arbre généalogique ; enfin le style « évolutionniste » qui évalue les stades d'avancement des groupes humains en fonction de la perfectibilité humaine.

La quatrième partie de l'ouvrage (chapitres 8 à 11) est celle où se déploie la thèse de C.-O. Doron : le...

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