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  • Locke médecin. Manuscrits sur l'art médical (édition critique)by Claire Crignon
  • Gilles Barroux
Locke médecin. Manuscrits sur l'art médical (édition critique)Claire Crignon Paris: Classiques Garnier, coll. « Textes de philosophie », 2016, 541 p., 49 €

Que John Locke fut attaché à la médecine par sa formation, qu'il eut écrit des textes consacrés à cette matière, ou encore que cette formation initiale put constituer un laboratoire pour ses productions ultérieures, ce sont des informations connues et évoquées de manière récurrente, tant par les historiens de la philosophie que des sciences (exemple des travaux de François Duchesneau). Il manquait cependant un travail conséquent et exhaustif sur cette période de l'histoire de la formation de la pensée de Locke, ce maillon manquant est désormais comblé par l'ouvrage de Claire Crignon, Locke médecin. Manuscrits sur l'art médical. [End Page 269]

Ce volume de plus de cinq cents pages comprend une étude aussi conséquente que fouillée des manuscrits du philosophe, de leur gestation en lien avec les enjeux épistémologiques de l'époque. S'y trouvent revisités les rapports entre médecine et philosophie, interrogée la « fabrique du vivant », restitués les débats relatifs aux méthodes dans l'évaluation des maladies, interrogée la critique de l'anatomie, et relaté le cas d'une affection particulière. Ce développement est suivi par la traduction des manuscrits de l'auteur dont Anatomiaet De arte medica.

Les conceptions de Locke sur l'économie animale et sur la pathologie y sont scrutées en résonance avec les figures de la médecine et de la physiologie qui imprègnent toute cette période : Van Helmont, Willis, Harvey, Sennert, Boyle ou encore Sydenham dont le nom est historiquement associé à celui de Locke. Les développements de cet ouvrage fournissent ainsi l'occasion d'appréhender de manière ciblée les modalités d'une filiation entre les deux savants. Un autre mérite est de nous plonger au sein de l'univers scientifique et médical qui marque l'Angleterre et l'Europe du 17 esiècle, et de découvrir un corpus de textes qui attestent de la fécondité et de la vivacité des débats de toute cette période.

Il serait trop long de restituer la démarche caractérisant cette étude sans précédent sur le sujet. Évoquons ici les rapports de Locke et de Sydenham à l'anatomie. Une évocation superficielle et surfaite pourrait vite réduire leur position à un rejet de cette matière, tel un aveu d'ignorance, comme si toute critique de l'anatomie correspondait à un désintérêt pour la machine du corps, comme si une telle position révélait la posture d'un charlatan. La réalité est nettement plus nuancée, car se logent des enjeux épistémologiques et philosophiques gravitant autour de notions aussi centrales que celles d'expérience et d'observation. Que la connaissance des organes et des parties du corps constitue une géographie utile aux médecins et aux chirurgiens, cela ne fait pas problème en soi. Que de ces connaissances on en tire quelque induction et que cette dernière produise une espérance illusoire au sujet d'une médecine et d'une thérapeutique renouvelées, voilà ce qui engage la médecine dans des chemins sans issue : « L'anatomiste est incapable de faire de son scalpel un moyen de diagnostiquer la maladie, alors que le médecin observateur n'a de son côté qu'à exercer son nez pour reconnaître les « pustules » et l'odeur caractéristique de la maladie » (p. 310).

Cibler ainsi les limites de l'anatomie génère nécessairement une série d'enseignements et d'interrogations, portant notamment sur le rôle de l'observation comme boussole empirique contre les tentations [End Page 270]de produire des systèmes abstraits ou de générer d'improbables hypothèses. Ainsi, nul impératif ne saurait exiger que l'acte de soigner dépende de...

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