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  • Entretien avec Fabienne Kanor, “l’Ante-llaise par excellence”Sexualité, corporalité, diaspora et créolité
  • Gladys Francis

Fabienne Kanor est née en France de parents Martiniquais de la génération BUMIDOM1 dont elle observe le résolu désir de se plier à ce nouvel espace qui les maintient étrangers. Elle découvre concurremment ses propres ambiguı¨tés identitaires, étant noire et pas vraiment Africaine, Française ou Antillaise. D’abord journaliste en presse écrite, son amour pour les mots et l’image la guide diligemment vers l’écriture romanesque et cinématographique ; trois domaines qu’elle conjugue fréquemment dans ses travaux. Elle est l’auteure de six romans, D’Eaux douces (2004),2 Humus (2006);3 Les Chiens ne font pas des chats (2008);4 Anticorps (2010);5 Faire l’aventure (2014);6 Je ne suis pas un homme qui pleure (2016);7 et d’un livre de jeunesse Le jour où la mer a disparu (2007).8 Kanor a réalisé de nombreux documentaires : un long métrage sur le crack Un caillou et des hommes;9 des courts et moyens métrages, notamment, Ti Emile Pò kò mò,10 C’est qui L’Homme11 et Retour au Cahier.12 En 2015, après plusieurs années au Cameroun, Kanor s’installe à La Nouvelle Orléans en Louisiane.

Au sein de tous ses travaux, Fabienne Kanor révèle les “entre-frontières” et les secrets enfouis dans les corps, et ce, par le biais d’un tracé corpomémoriel qui mêle corporalité, oralité, mémoire et Histoire. Les motifs de l’enfermement (le ventre, la cale des bateaux négriers) et de la traversée (identitaire, transatlantique) nimbent l’écriture composite de Kanor qui parcourt chaque coin de terre, de corps-tabou et de brin d’eau qui exhortent en elle le besoin de procéder à ce tracé corpo-mémoriel: “Je suis en quête d’une écriture sauvage et libre qui contiendrait tout à la fois: poésie, épopée, théâtre d’action, sitcom, conte, nouveau roman.” Kanor erre intentionnellement entre les eaux (liquides des corps et des océans), entre divers espaces (corporels, mentaux et géographiques) qu’elle remonte, régurgite, ingère, d’îles en îles, de continents en continents, de femmes à [End Page 273] hommes: “Il m’est devenu naturel de voyager, de déplacer mon corps pendant, avant, après la création. Si je pouvais, je volerais pour aller plus vite, voir sans être vue, observer sans nécessairement rencontrer.” Kanor shoote la douleur de sa caméra et la pince à outrance dans ses écrits—sans pudeur. Elle en dissèque la gangrène pour combattre l’immobilisme, l’individualisme, le silence et l’oubli. Elle met en voix le corps-bigidi,13 pandémonium, et c’est de cette feinte du corps que prennent naissance corporalité, visibilité et tangibilité du corps-palimpseste: “Je veux découdre les ourlets, regarder l’envers des choses, m’attarder sur des détails, prolonger la parole jusqu’à l’asphyxie, m’engager dans des voies troubles, côtoyer de loin l’invisible.”

É voquant son processus de création (relatif à D’Eaux douces et Humus), Kanor explique écrire non pas uniquement à partir des Antilles, mais à partir de ce qui est venu avant: “L’Ante, Les Afriques.” Puisque de ce lieu de mémoire il n’existe pas d’identité antillaise, Kanor tient par conséquent à “le reconstituer, le ré-imaginer, le transformer (voire oser le ‘créoliser’).” C’est ce lieu qui, insiste-t-elle, définit son territoire littéraire et façonne son identité. Elle se dit alors Ante-llaise: “car j’écoute l’avertissement fondamental de Césaire (‘Regardez les Antilles, et vous verrez l’Afrique’); car le processus de créolisation commence déjà là-bas. Pas quand le bateau accoste dans ce qui deviendra les Antilles, mais bien avant l’embarquement, dans ces cachots où l’on parquait les Africains issus de toutes souches.” Le terme “Ante-llaise” offre ainsi à Kanor l’avantage de combiner deux données qui lui sont essentielles: l’espace et le temps.

Vivant alors au Cameroun, Kanor me...

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