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  • La question du rythme entre texte et bande dessinéeL’exemple de “Boule de Suif” dans Maupassant. Contes et nouvelles de guerre (Battaglia)1
  • Jan Baetens

Pourquoi lire Contes et nouvelles de guerre

Les adaptations littéraires en bandes dessinées ont longtemps souffert d’une réputation sulfureuse. Outre les qualités parfois discutables de certaines de ces oeuvres, les causes de ce désamour sont doubles: 1) l’orientation d’une partie de cette production sur un public plus jeune, ce qui gêne au moment où la bande dessinée cherche à se tourner vers un lectorat adulte rétif à tout esprit d’édification; 2) l’attachement à une esthétique de la fidélité, jugée incompatible avec l’exploration des spécificité médiatiques de l’oeuvre adaptante. Aujourd’hui, le contexte a changé radicalement: 1) l’essor du roman graphique, qui s’est imposé depuis peu comme une pratique littéraire à part entière,2 a multiplié les exemples d’adaptations plus ambitieuses, dont le didactisme n’est plus le souci principal; 2) en même temps, les nouvelles approches des phénomènes d’adaptation se montrent plus nuancées à l’égard du principe de fidélité, qui a cessé d’être l’épouvantail traditionnel de ce type d’études.3 Aujourd’hui, adapter un texte littéraire en bande dessinée est parfaitement compatible avec le souci de la spécificité médiatique, cependant qu’il est de nouveau possible de faire une adaptation sérieuse qui accepte de jouer le jeu de la fidélité. Corollairement, il se crée aussi l’opportunité de revenir sur certaines oeuvres du passé, que la méfiance à l’égard des adaptations, jugées à la fois trop littéraires et trop fidèles au texte-source, a empêché peut-être de lire à leur juste valeur. C’est le cas de Maupassant. Contes et nouvelles de guerre de Battaglia, parus en italien à la fin des années 1970, puis réunis en volume en français en 2002.

L’exemple de Battaglia est d’autant plus intéressant qu’il touche à un domaine apparemment simple, mais qui s’avère très vite d’une complexité [End Page 289] redoutable: le réalisme ou, plus généralement, toute forme de littérature qui se propose de décrire ou de suggérer à l’aide de mots un monde supposé réel (le naturalisme, celui de Maupassant par exemple, sera pris ici comme une variante du courant plus large de l’écriture réaliste du 19e). De prime abord, la transposition graphique d’un style réaliste n’est pas censé poser de problèmes insurmontables (abstraction faite bien entendu des qualités du produit final, qui dépend beaucoup du talent de l’artiste). Dans la mesure où le réalisme accorde une place de premier rang à la description d’une réalité perceptible, le lien avec la bande dessinée paraît presque naturel. Les choses se compliquent toutefois lorsque le réalisme déborde le seul domaine de l’espace et des réalités sonores ou visibles, pour toucher aussi au temps. Le réalisme du roman graphique, en effet, ce n’est pas seulement une certaine manière de faire voir, plus littéralement qu’en littérature, un certain univers, c’est aussi une certaine manière de raconter un certain type d’histoires, c’est-à-dire finalement une certaine façon de gérer le temps. Or si la bande dessinée excelle, du moins à première vue, à rendre présent un contexte spatial, il n’en va pas forcément de même de son aptitude à transposer les aspects temporels du récit. C’est là, on le sait, un débat très ancien, qui a pris des formes très diverses mais finalement assez similaires au cours du temps: par exemple le conflit entre arts du temps et arts de l’espace (Lessing) n’est pas foncièrement différent de celui, typiquement moderne, entre telling et showing. En tant qu’art hybride, combinant mots et images à l’intérieur d’une narration séquentielle...

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