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Reviewed by:
  • Qu’est-ce que l’autorité ? France-Allemagne(s), XIXe–XXe siècles by Emmanuel DROIT, Pierre KARILA-COHEN
  • Mathieu Marly
Emmanuel DROIT et Pierre KARILA-COHEN (dir.). – Qu’est-ce que l’autorité ? France-Allemagne(s), XIXe–XXe siècles, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2016, 302pages. « Bibliothèque allemande ».

Cet ouvrage collectif est le fruit d’un séminaire dirigé à l’université Rennes 2 par Pierre Karila-Cohen et Emmanuel Droit, consacré aux pratiques quotidiennes du pouvoir en France et en Allemagne aux XIXe et XXe siècles. Le titre de l’ouvrage, emprunté à Hannah Arendt, rappelle d’emblée ce que la notion d’autorité doit à une série de questionnements qui dépassent largement le champ d’une histoire classique et qui empruntent autant à la philosophie qu’à la sociologie, voire à la psychologie et à l’ethnographie. À l’approche transdisciplinaire, essentielle pour saisir les mécanismes d’autorité, il faut ajouter, et c’est l’autre grand mérite de cet ouvrage, une approche croisée et féconde entre l’historiographie française et allemande.

L’ambition de ce travail collectif vise moins une histoire un peu convenue des représentations de l’autorité qu’à saisir le fonctionnement concret de celle-ci dans sa dimension relationnelle, entre celui qui la détient – provisoirement – et celui qui s’y soumet, tout aussi provisoirement. Les concepts de « domination » et de « pouvoir » sont essentiels pour comprendre cette relation. Catherine Colliot-Thélène rappelle l’usage de la notion de « domination » dans les écrits de Max Weber. Contre certaines interprétations ultérieures laissant une place excessive à la « légitimité » des institutions auxquels les individus assujettis « consentiraient », Max Weber signalait déjà que l’autorité « légale-rationnelle » construite par les États modernes ne saurait se targuer d’une légitimité démocratique pour faire oublier le rapport asymétrique au cœur de la relation de domination. La domination exercée par les institutions est là, elle préexiste à la volonté individuelle, quels que soient les motifs politiques et idéologiques avancés pour la justifier.

L’importance des structures qui déterminent la relation d’autorité est à nouveau rappelée par François Buton à travers une mise au point sur l’usage de la « domination » dans l’œuvre de Pierre Bourdieu. Comme on le sait, ce dernier inscrit son travail dans le sillage de Max Weber. Il y ajoute une double clé de compréhension permettant de comprendre l’efficacité de cette domination à travers la notion d’habitus chez les dominés – socialisés pour accepter comme une évidence les conditions de leur domination – ou de capital symbolique, concept qui permet à Bourdieu d’introduire la notion de « charisme » empruntée à Weber, un charisme qui n’existerait pas en fonction des qualités intrinsèques d’un individu mais bien par la conversion d’un capital social ou économique dans un champ donné. Sans être parfaitement contiguë, la notion de « pouvoir » dans l’œuvre de Michel Foucault permet également de penser l’autorité sous sa forme relationnelle. Michel Senellart rappelle l’évolution de la pensée foucaldienne sur la question du « pouvoir » jusqu’à la synthèse que représente le concept de gouvernementalité. Le comportement et l’intérêt des individus assujettis – point aveugle des premiers développements de la pensée du pouvoir chez Foucault, notamment dans Surveiller et punir – apparaissent en effet comme le produit d’une subjectivation opérée par la relation de pouvoir. Les sujets « se retrouvent » ainsi dans les conditions de leur domination. Ils y participent d’autant mieux qu’ils trouvent une « raison d’être » dans cette relation, interprétation qui permet à Michel Foucault de sortir d’une vision uniquement normalisatrice du pouvoir.

Les interventions retenues dans la suite de l’ouvrage permettent d’interroger ces notions constitutives de l’autorité. Qu’elles questionnent l’autorité électorale (Henri Courrière), policière (Quentin Deluermoz) ou enseignante (Emmanuel Droit), ces communications partagent une définition relationnelle de l’autorité : relation entre [End Page 210] ceux qui commandent et ceux qui obéissent dont il semble impossible d’apprécier...

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