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  • Petites patries dans la Grande Guerre by Michaël BOURLET, Yann LAGADEC, Erwan LE GALL
  • Philippe Salson
Michaël BOURLET, Yann LAGADEC et Erwan LE GALL (dir.). – Petites patries dans la Grande Guerre, Rennes, Presses universitaire de Rennes, 2013, 250pages.

Cet ouvrage collectif est présenté par ses auteurs, après la journée d’étude qui l’a préparé, comme un manifeste « pour une approche régionale de la Grande Guerre » 12. Même s’ils reconnaissent leur dette envers les travaux de Jules Maurin sur l’expérience régionale de la guerre 13 et ceux d’Anne-Marie Thiesse et de Jean-François Chanet sur les identités régionales dans le cadre républicain 14, ils n’en estiment pas moins que l’approche régionale aurait été trop longtemps sacrifiée au profit de modes de narration historique privilégiant la dimension nationale, quand bien même l’intérêt scientifique pour les questions d’identité et d’appartenance régionales au cours de la Grande Guerre connaît depuis quelques années un regain notable 15.

Le livre est organisé en trois parties dont les analyses sont portées à des échelles d’observation différentes. La première, qui reprend la plupart des contributions de la journée d’étude, a pour objet le cas breton dans la Grande Guerre. L’ouvrage passe dans sa deuxième partie d’une échelle régionale à une échelle nationale, avant d’opérer quelques comparaisons internationales dans sa troisième partie. Si l’architecture de l’ouvrage paraît simple, la lecture des différentes contributions montre combien la question des identités régionales est complexe, recouvrant des problématiques et des objets d’étude très divers.

Tout d’abord, le titre donné à l’ouvrage met en avant les « petites patries » et les formes d’attachement au « pays ». Les signes d’un tel attachement au sein de l’armée française en 1914–1918 seraient nombreux, l’armée n’étant pas, malgré l’instauration d’un service universel, un lieu d’uniformisation nationale. Bien souvent, comme le montre Jérémie Halais dans le cas de la subdivision de Granville, le service militaire reste une expérience régionale. Dès lors, le conscrit partage sa chambrée avec de nombreux camarades venant du même territoire, avec qui il peut converser dans l’idiome régional. Emmanuelle Cronier, notant l’attention de l’état-major britannique aux particularismes alimentaires des combattants indiens, estime même que l’attachement à la région d’origine serait un « ressort du moral des troupes » (p. 236). Paradoxalement, le regroupement des hommes sur une base régionale, parce qu’il maintient et renforce les solidarités d’avant-guerre, a pu être perçu comme une menace par l’état-major français 16. C’est également en mettant en avant leur particularisme régional que les Canadiens français, à la différence de leurs compatriotes anglophones, luttent massivement contre le principe de la [End Page 188] conscription. Au-delà de la question, très problématique, du « moral », qui conduit l’historien à adopter le point de vue de l’autorité militaire 17, l’idée du particularisme culturel comme « ressort moral » reste difficile à prouver, la question de l’identité régionale étant très peu présente dans les sources, du moins dans le cas français. Odile Roynette le constate à propos des études linguistiques d’Albert Dauzat et de Gaston Esnault qui ne s’intéressent qu’aux expressions répandues sur tout le front et non aux parlers locaux. Véronique Goloubinoff et David Sbrava rendent également compte de ce silence à travers les reportages photographiques ou filmés : quand des traits culturels régionaux sont mis en scène, c’est uniquement sous l’angle de l’anecdote exotique.

Un autre axe d’étude consiste à interroger la spécificité des expériences de guerre. Sur la base du recrutement territorial de l’armée ont pu être identifiés, en 1914, des régiments « bretons », « nordistes » ou « corses », alimentant les discours sur la bravoure et le sens du sacrifice...

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