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  • La guerre des bouches. Ravitaillement et alimentation à Lille 1914–1919 by Stéphane LEMBRÉ
  • Thomas Depecker
Stéphane LEMBRÉ. – La guerre des bouches. Ravitaillement et alimentation à Lille 1914–1919, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2016, 196pages. « Histoire et civilisations ».

Stéphane Lembré livre ici sous une forme concise une monographie consacrée au ravitaillement à Lille pendant la Première Guerre mondiale. Le principal point d’entrée est l’activité du Comité d’alimentation du Nord de la France (CANF), organisme assurant la gestion pour la France occupée des vivres envoyés par la Commission for Relief in Belgium (CRB) dont dépendait l’alimentation d’une grande partie des Lillois. L’ouvrage croise l’analyse d’une organisation relevant de la « charité scientifique » et de la philanthropie internationale avec les pratiques quotidiennes et les modes de vie des populations cibles, tout en situant cette relation dans un contexte politique plus général. Les agents du CANF font partie d’un espace social avec lequel il faut composer, incluant les responsables économiques du syndicat de la boulangerie, les administrateurs de l’État restés en place, la bourgeoisie locale ou la Kommandantur. L’ouvrage présente également une copieuse section d’annexes, comportant des extraits de journaux et des témoignages, de courtes biographies des diaristes, divers documents sur la gestion du ravitaillement et des chansons d’occupation.

Stéphane Lembré visite un thème qui a fait l’objet d’études classiques, à l’aide de problématiques relevant de plusieurs champs : une histoire de la philanthropie, attentive au parcours des agents et aux populations cibles ainsi qu’à son internationalisation et au pouvoir politique qu’elle représente, une histoire de l’alimentation croisant la construction des habitudes et celle de la notion de qualité, une histoire économique qui s’intéresse autant aux tonnes de froment qu’à la construction sociale des marchés. Il en résulte des analyses particulièrement fécondes qui intéresseront le lecteur, au-delà de la seule histoire du ravitaillement. On peut cependant regretter que cette approche ne soit pas suivie d’un appel plus clair à la sociologie, alors que les approches sociohistoriques auraient très certainement contribué à la définition de l’objet. De plus, si la construction de l’ouvrage témoigne d’un louable souci de clarté, un autre découpage aurait pu mieux mettre en valeur les nombreuses problématiques soulevées. Prenons l’exemple des savoirs nutritionnels. Ils sont d’abord mentionnés au début de l’ouvrage par les médecins portant un regard sur l’état sanitaire de la population au déclenchement de la guerre. Dans un autre chapitre on s’arrête sur une forme de surveillance nutritionnelle mise en place durant les périodes les plus noires du rationnement. Mais les catégories médicales ont-elles évolué ? À d’autres endroits on apprend la méfiance des populations au sujet des pains de rationnement : le pain bis ou noir, selon les journaux recueillis par l’auteur, est indigeste et pourrait « amener des épidémies » (p. 51) ; il rend « tout le monde souffrant » (p. 58). Plus loin, à propos d’un autre sujet, on apprend que la municipalité tente d’instruire les Lillois sur les « méfaits du pain blanc » (p. 119) et la valeur du pain complet ou additionné de seigle, alors même que l’obtention de pain blanc était soumise à un certificat médical. Les gestionnaires du ravitaillement cherchent en effet à assurer une alimentation adéquate du point de vue diététique, et utilisent des unités nutritionnelles (calories, etc.) pour quantifier les besoins des populations, sans se soucier vraiment de la qualité de la substance alimentaire permettant d’obtenir les unités requises. On pourrait faire des observations identiques sur les formes de régulation économique. Les questions et problématiques soulevées par l’ouvrage n’en restent pas moins à la mesure de l’ampleur du sujet abordé.

Les deux premiers chapitres portent sur la situation de Lille à l’entrée en guerre et sur la manière dont les pouvoirs publics gèrent les premiers temps de la pénurie alimentaire...

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