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  • Le pinard des Poilus. Une histoire du vin en France durant la Grande Guerre (1914–1918) by Christophe LUCAND
  • Stéphane Le Bras
Christophe LUCAND. – Le pinard des Poilus. Une histoire du vin en France durant la Grande Guerre (1914–1918), Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2015, 170pages. « Histoires ». Préface de Jean Vigreux.

Au croisement de l’histoire culturelle, de l’histoire sociale et de l’histoire économique de la Première Guerre mondiale, le thème du « pinard des Poilus » méritait qu’une étude approfondie décortique les mécanismes ayant concouru à enraciner dans la mémoire collective nationale un lien intime et impérissable entre un conflit [End Page 170] et ce qui en devint la boisson de référence. C’est avec cet objectif, et en s’appuyant sur des sources diverses, que Christophe Lucand entreprend une analyse critique du poids de la boisson dans le quotidien des soldats pendant la Grande Guerre et dans les représentations qui les accompagnent. Cette ambition est exprimée dès l’introduction, inscrivant l’ouvrage au sein de plusieurs courants historiographiques (histoire du sensible, de la production, de la logistique, des pratiques, des mentalités, etc.) qui se sont finalement peu intéressés au sujet. L’auteur propose d’embrasser l’ensemble des ressorts qui participent à la mythification du « précieux liquide » (p. 14), dans le cadre d’un conflit armé qui confère « au vin une signification matérielle et symbolique incomparable » (p. 16), avec le souci constant de dépasser la dimension réductrice des poncifs qui y sont associés.

En cinq chapitres, l’ouvrage inscrit le sujet dans une perspective temporelle et culturelle large. Il ne se limite pas à décrire et détailler des pratiques connues par ailleurs grâce aux travaux de Thierry Fillaut ou François Cochet, à des études connexes (Alexandre Lafond sur la camaraderie ou Emmanuelle Cronier sur les permissionnaires) ou à des témoignages de poilus déjà bien diffusés auprès du grand public (comme celui de Louis Barthas par exemple). Il cherche à mettre en relief la place du pinard des poilus dans une riche histoire viti-vinicole française qui se serait transformée au sortir du conflit sous les effets de l’approvisionnement massif des soldats. L’ouvrage permet ainsi de mettre en évidence la continuité dans laquelle s’inscrivent ces pratiques.

En effet, l’une des premières qualités du livre est de démontrer que la Première Guerre n’est en rien une parenthèse ou une rupture fondamentale dans l’histoire vitivinicole nationale. En présentant, en amont, les spécificités d’un pays « de buveurs de vin » (p. 19), il révèle que, contrairement à un cliché tenace, l’écrasante majorité des soldats avaient déjà un rapport continu, voire soutenu, à la consommation de vin, considéré dans la société civile – et par extension par les experts militaires – comme une boisson hygiénique et requinquante. Le vin est devenu dans les armées une boisson de masse, distribuée très rapidement à l’ensemble des combattants mobilisés au front, dès les premières semaines désastreuses du conflit. En conséquence, une armature logistique s’est mise en place qui a permis de soutenir un effort de guerre nouveau, celui de l’approvisionnement de près de 3 millions de soldats en vin, dans des quantités sans cesse plus importantes (la ration journalière réglementaire passant de 0,25 à 0,75 cl entre 1914 et 1918, sans compter les rations « fortes », « supplémentaires », « extraordinaires », « exceptionnelles », etc.). L’auteur présente ainsi les circuits d’approvisionnement (depuis le Midi, l’Algérie ou l’étranger), les variations de la qualité des vins, ainsi que de leurs prix, dans un contexte délicat, s’apparentant à ce que l’on nomme à partir de 1915 « la crise du pinard », synonyme de pénurie et de réquisitions (qui débutent en réalité plus tôt que ne le dit C. Lucand).

L’ouvrage met aussi en lumière des pratiques qui se sont révélées être identitaires du fait de...

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