In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Résurgence et oubli dans Parc sauvage de Jacques Roubaud
  • Alain Schaffner

Parc sauvage est un récit de 130 pages environ, publié au Seuil en 2008.1 Il y est question de deux enfants vivant, pendant la Seconde Guerre mondiale, une sorte de parenthèse enchantée dans une propriété des Corbières entourée d’un “parc sauvage” et qui finiront par être rattrapés par l’Histoire. Or un des chapitres de La Boucle,2 branche 2 du “grand incendie de londres,”3 s’intitulait déjà “Parc Sauvage,” et un certain nombre de passages du récit de 2008 portant ce titre figurent déjà dans La Boucle. Il y a là, incontestablement, un premier phénomène de résurgence.

Toutefois, alors que le chapitre “Parc sauvage” de La Boucle porte plus précisément sur la question de la mémoire, du souvenir en tant que tel, Parc sauvage met en place une vraie dynamique narrative. D’un côté, la résurgence autobiographique et poétique se contente d’ouvrir des possibles narratifs; de l’autre, ceux-ci se concrétisent sous la forme d’une interrogation en acte sur la manière d’écrire la mémoire et sur le refoulement des événements douloureux.

“Parc sauvage,” un chapitre du Grand incendie de Londres

Jacques Roubaud fait remonter le projet du Grand Incendie de Londres à un rêve prémonitoire qu’il aurait eu en 1961: le rêve d’une œuvre gigantesque à édifier, dont le titre lui aurait été alors donné. En 1978, il en trouve le plan puis le déchire, constatant qu’il faudrait plusieurs vies pour le réaliser. Vers 1980, il se remet au travail, ayant décidé de raconter ce qu’il voulait faire, à partir d’un “axiome stratégique d’ensemble” (63): “Tout le Projet serait sous la maxime de la mémoire. / (M’) La poésie est mémoire de la langue” (gril 172). Le projet se voit de plus hanté par la disparition précoce, en 1983, d’Alix Cléo Roubaud, sa femme, à laquelle le poète a consacré un très beau [End Page 29] recueil intitulé Quelque chose noir (Gallimard 1986). En 2009 Roubaud rassemble les cinq volumes qui ont été publiés au Seuil sous le nom “le grand incendie de Londres” (en minuscules, entre guillemets): La Destruction (1989), La Boucle (1993), Mathématique: (1997), Impératif catégorique (2008), Poésie: (2000), La Bibliothèque de Warburg (2002). Un volume ultérieur intitulé La Dissolution a été publié aux éditions NOUS en 2008.

Dans La Boucle, après la description de la maison familiale de “la rue d’Assas” à Carcassonne commence la description du parc sauvage: “Devant cette maison, tout près, s’étendait le Parc Sauvage. Je donne à chacun de ces deux mots une majuscule, comme s’il s’agissait d’un nom propre, d’un nom de personne (nom + prénom: nom: ‘Parc,’ prénom ‘Sauvage’) (gril 493). La situation géographique en est précisée: dans les Corbières, à Sainte-Lucie. Cependant cette nomination est “privée,” “absente de toute carte.” “Je l’avais transmuée d’abord pour mes jeux, puis dans mes souvenirs, enfin pour la mémoire, en un nom: Parc sauvage. […] Je l’offrirais ici, nom propre de ces souvenirs, contre l’oubli” (gril 494). La nomination est l’objet d’une “surcharge affective et sémantique que je cherche à marquer” (gril 495), écrit Roubaud qui voudrait en faire, selon sa propre expression, un “nom surpropre” (gril 495): “C’est pour cette raison que je lui réserve un rôle narratif qui excède les exigences de la simple préservation d’un souvenir heureux et marquant” (gril, 495).

L’expression Parc sauvage apparaît en gras dans le texte, et même en gras souligné (Parc sauvage) lorsque le texte environnant est en gras. Roubaud s’en explique un peu plus loin:

(Par la succession énumérative sans verbes, et le maintien d’une particularité de ponctuation [les points-virgules qui scandent le discours], je “soutiens” [et parfois remplace] les occurrences répétées de “je...

pdf

Share