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Reviewed by:
  • En attendant demain by Nathacha Appanah
  • Emmanuel Bruno Jean-François
Appanah, Nathacha. En attendant demain. Paris: Gallimard, 2015. isbn 9782070147755, 196p.

Après Le Dernier Frère, ouvrage très remarqué, traduit déjà en dix-sept langues et paru initialement en 2007 aux Éditions de l’Olivier, et avant Tropique de la violence, paru en 2016 chez Gallimard, En attendant demain est le cinquième roman que signe l’écrivaine et journaliste d’origine mauricienne, Nathacha Appanah. Au jour d’“aujourd’hui,” où commence ce récit — d’une grande pudeur et d’une élégance tragique — “quatre ans, cinq mois et treize jours” (11) se sont écoulés déjà depuis la noyade d’Adèle, personnage énigmatique et pourtant essentiel à l’histoire poignante que nous livre Appanah. L’éclatement chronologique du récit nous ramène toutefois très rapidement à une vingtaine d’années plus tôt: Adam et Anita se rencontrent, à l’âge de vingt-quatre ans, dans une maison meulière à Montreuil, en banlieue parisienne. Lui, bien que terminant une école d’architecture, est considéré comme inférieur par ses pairs, parce que trop provincial; elle, est une jeune femme d’origine mauricienne, installée à Paris, et désillusionnée par la peine qu’elle éprouve à réaliser son rêve de devenir romancière. Le sentiment qu’ils partagent alors de ne pas être “à [leur] place ici” (22) est ce qui les rapproche tout naturellement. Unis peu après, ils deviennent ce couple mixte et atypique qui “croit fermement en la réalisation de tous ses rêves” (40) et souhaite “être à l’origine d’un projet artistique original. Ils rêvaient d’incarner un couple d’artistes, mystérieux, talentueux et amoureux, ils espéraient trouver une nouvelle manière de rejoindre paroles, peinture, forme, couleur, histoire” (150).

Avec le temps — et malgré l’arrivée, quatre années plus tard, d’une petite fille prénommée Laura et l’expérience exaltante de la parentalité —, la complicité, l’intimité et les rêves du couple s’effritent tandis que s’installe l’ennui du quotidien. L’incapacité des deux personnages à s’engager dans un partage artistique véritable, tant pour l’architecte-peintre que pour la journaliste-pigiste, cède graduellement la place à l’incompréhension réciproque, à l’isolement social et à l’angoisse de l’échec. Et, tandis que la fusion étincelante tant recherchée entre peinture et littérature peine à se réaliser, Anita renonce à “raconter l’envers et l’endroit du monde” (62). Elle se retranche plutôt dans le journalisme et la méfiance et prend intimement conscience de la couleur de sa peau, de sa différence d’origine et de son statut d’étrangère dans un environnement qui prône l’assimilation culturelle — cet effacement graduel de soi — comme unique forme acceptable de discrétion.

Ce malaise trouve toutefois un terme avec l’irruption inattendue et miraculeuse, dans leur vie, d’une autre Mauricienne, récemment rescapée d’un accident, qu’Anita rencontre au hasard, dans un bar au nom symbolique — le Tropical — lors d’un concert de maloya: “ce blues créole réveille en elles quelque chose qui vient de loin, à l’époque où elles dansaient sans gêne, quand il n’y avait pas de mensonges, pas de drame, quand il n’y avait que les jours infinis et sans inquiétude de [End Page 230] leur enfance” (95). Si ce personnage sans-papiers — une immigrée clandestine du nom fictif d’Adèle, venue réinventer sa vie en France après la mort tragique de son mari et de son fils — est peu après embauché comme nounou par le couple, il finit par bouleverser leur quotidien et par exercer sur eux une fascination telle qu’il leur inspire d’autres imaginaires, d’autres prises de conscience. Se peut-il alors que la vie tragique, errante et longtemps dissimulée d’Adèle, que cette dernière leur révèle naïvement, puisse transformer la leur au point de leur offrir un nouveau départ, un nouveau souffl e de création...

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