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Reviewed by:
  • L’institution du travail. Droit et salariat dans l’histoire by Claude Didry
  • Camille Chaserant
Claude Didry
L’institution du travail. Droit et salariat dans l’histoire
Paris, La Dispute, 2016, 245p.

L’histoire sociale du salariat a longtemps pensé le déclin inexorable du travail dans l’économie des services et de l’information qui est devenue prédominante dans notre société postindustrielle. Contestant la « doxa économicosociale » (p. 213) portée par cette « histoire sociale la plus classique » (p. 10), Claude Didry procède à un nouvel examen sociohistorique du contrat de travail, clé de voûte du droit du travail. Son ouvrage est dense, bien construit et riche, notamment par l’abondance des études de cas qui éclairent l’argumentation. Deux idées largement répandues dans l’espace public et au fondement des réformes du marché du travail depuis les années 1990 – dont la récente « Loi travail » du gouvernement socialiste ne constitue que le dernier avatar – y sont réfutées.

La première est celle d’une succession de formes différentes qu’aurait prises le rapport salarial à travers l’histoire, et qui trouverait son origine dans les réglementations de l’Ancien Régime – comme l’a présentée Robert Castel 1. C. Didry montre que l’institution du travail comme activité sociale spécifique et commune à tous les travailleurs, quel que soit leur métier, est plutôt le fruit d’une révolution intellectuelle datant de la fin du XIXe siècle et qui s’est traduite par l’adoption progressive du Code du travail. La mise en évidence de cette rupture repose sur une analyse fine du cadre juridique antérieur, celui du louage d’ouvrage, et de sa mise en œuvre depuis la Révolution française.

Avec le louage d’ouvrage, « le monde ouvrier [...] fait son entrée dans le droit commun des citoyens » (p. 31). Défini par les articles 1779 à 1799 du Code civil, le louage d’ouvrage dessine une architecture complexe de relations productives où l’ouvrier peut travailler « à prix fait », étant alors considéré comme « entrepreneur en ce qu’il fait » (art. 1799). Il est ainsi partie égale au donneur d’ordre ou au négociant, acheteur de l’ouvrage, en témoigne la jurisprudence des juges de paix qui exige le versement de dommages et intérêts en cas de rupture d’engagement par l’une ou l’autre partie. [End Page 823]

Cette égalité a fait naître les multiples débats, tout au long du XIXe siècle, sur le tarif des pièces, où l’on observe la revendication, par les ouvriers, de ce qu’Alain Cottereau nomme leur « bon droit 2 ». La détermination collective des tarifs est centrale dans ce monde ouvrier fortement hétérogène. En effet, le Code civil établit une liberté d’organisation dans la production d’ouvrages. Une part importante d’ouvriers « preneurs d’ouvrage » engage ainsi d’autres ouvriers et associe souvent la famille pour réaliser tout ou partie de l’ouvrage. L’établissement d’un tarif est une référence nécessaire au preneur d’ouvrage à la fois pour la négociation du prix final avec le donneur d’ordre et pour le versement des rémunérations aux ouvriers embauchés.

À Paris, certains preneurs d’ouvrage sont appelés « marchandeurs » (p. 30). Le louage d’ouvrage conduit en effet à un marchandage généralisé (une succession de sous-traitances entre ouvriers) et une « entr’exploitation ouvrière » (p. 12) liée à la concurrence entre « marchandeurs ». Ces derniers deviennent en fait de véritables commerçants, dont l’activité de négoce des ouvrages les éloigne du monde ouvrier. Aboli en 1848, le marchandage perdure pourtant dans l’univers industriel jusqu’au début du XXe siècle, réduisant de nombreux ouvriers et ouvrières à la misère. La réalité ouvrière est donc ici bien éloignée du salariat d’aujourd’hui. « Il paraît même nécessaire de renoncer à y voir une forme quelconque de salariat présupposant l’existence claire d’un ensemble d’ouvriers...

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