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Reviewed by:
  • Force publique. Une sociologie de l’institution policière by Cédric Moreau de Bellaing
  • Fabien Jobard
Cédric Moreau de Bellaing
Force publique. Une sociologie de l’institution policière
Paris, Economica, 2015, 167p.

Fruit d’une thèse de science politique, l’ouvrage de Cédric Moreau de Bellaing est un « geste critique » (p. 11) exécuté en vue de mieux connaître la « conduite des conduites policières » (p. 14). Il consiste, à cette fin, en un examen du traitement des déviances policières par les services d’inspection interne (analyse documentaire) et, de manière moins centrale, de la formation à l’usage de la force, délivrée à l’école de police (observations et [End Page 819] entretiens). Le projet de l’auteur vise à produire « l’analyse du travail quotidien de services internes à l’institution policière, saisis comme des dispositifs réflexifs, [dans le but de] permettre de dégager les fondements pratiques de l’activité policière » (p. 15). Les mises en cause de la police constituent des « épreuves » qui donnent à voir les « contradictions logico-pratiques » des acteurs policiers chargés de les instruire. De fait, elles révèlent l’étendue et la nature de la critique que l’institution est prête à formuler sur l’action des siens et, par ce biais, les modalités de transformation (ou de conservation) qu’elle est prête à engager. Chaque dossier porté à l’examen de l’Inspection générale des services (Igs), chargée d’enquêter sur les mises en cause des polices parisiennes, constitue une épreuve à l’aune de laquelle l’institution tout entière se révèle.

À l’exception de rares passages où le talent descriptif et analytique de l’auteur est desservi par un excès de raffinement, l’ouvrage est un régal de netteté et de précision. À la manière d’un Bruno Latour dont il se réclame, C.Moreau de Bellaing « suit ses acteurs », examine leurs manières d’ouvrir ou de ne pas ouvrir un dossier, de prêter de la crédibilité aux interlocuteurs, de conférer une valeur probante à tel ou tel élément matériel ou à tel témoignage, et d’établir ou de rejeter une faute. Un jugement se forme, cherche des contradictions et des certifications, teste la résistance d’un interlocuteur ou d’un acte matériel et, « au tamis d’une série d’épreuves (l’attestation médicolégale, la procédure [policière] initiale, le témoignage d’un tiers) » (p. 65), dénoue l’allégation ou le soupçon.

L’élément décisif de cette investigation sociologique des interrogatoires policiers tient en ceci que les affaires de mise en cause pour faits de violence dans l’exercice des fonctions policières sont rarement dénouées : non seulement la présomption d’innocence, principe constitutionnel du droit pénal, est respectée avec un rare scrupule par l’Igs lorsqu’elle vise le policier, mais aussi le caractère bien souvent indécidable des violences en situation, la confusion propre à toute interaction conflictuelle, « favorisent une relative impunité des violences illégitimes » (p. 65). Au terme de son examen, C. Moreau de Bellaing conclut sans doute possible que « la violence policière est une violence légitime jusqu’à preuve du contraire » (p. 65). L’analyse quantitative des 330 comptes rendus de conseils de discipline (1993–1999) permet de préciser ce qu’est, au total, la violence illégitime. C. Moreau de Bellaing relève que les trois quarts des violences sanctionnées sont des violences commises hors service, alors que 90% des violences alléguées visent des actes commis en service. Ainsi, la violence employée en tant que policier est fréquemment dénoncée mais rarement établie ; la violence détachée du service est rejetée, en tant qu’elle est un acte privé, par l’institution policière.

Soit la violence est dictée par les nécessités de la situation, et elle s’impose au policier qui l’emploie, soit elle est le produit de l’accaparement privé de l...

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