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  • Décoloniser l’école ? Hawai’i, Nouvelle-Calédonie. Expériences contemporaines by Marie Salaün
  • Alban Bensa
Marie Salaün
Décoloniser l’école ? Hawai’i, Nouvelle-Calédonie. Expériences contemporaines
Rennes, Pur, 2013, 303p.

Dans ce livre, Marie Salaün, dont les travaux sur l’école dans le Pacifique font autorité, croise trois axes de recherche : le poids de l’histoire coloniale dans les situations postcoloniales actuelles, la montée en puissance des revendications des peuples labélisés « autochtones » et les contradictions où se trouve prise l’école primaire affrontée à des contextes multiculturels et racialisés inégalitaires comme ceux d’Hawaii et de la Nouvelle-Calédonie aujourd’hui. Le prisme de l’institution scolaire ici retenu place donc au centre de cette investigation la question de la transmission : celle de traumatismes collectifs anciens, celle de l’identité originelle imaginée et souvent surévaluée (existe-t-il des « sociétés traditionnelles » à restaurer en faisant fi de l’histoire coloniale ?), celle enfin de savoirs et de savoir-faire spécifiques passés de générations en générations (comment les identifier ? Faut-il que l’école les prenne en charge et, si oui, comment ?). Sous cet angle critique rien n’est plus aussi évident et M. Salaün multiplie les questionnements en soulignant les contradictions.

Peut-on, par exemple, reconduire « la chronologie naïve de la décolonisation » (p. 9), celle qui établit une continuité entre la pleine période coloniale et la période actuelle ? Il n’est guère possible, en effet, d’assimiler les « indigènes » qui, privés de toute citoyenneté par le Code de l’indigénat (1887–1946), demandaient à être scolarisés sans s’inquiéter du contenu des programmes scolaires aux militants nationalistes kanak soucieux que l’école, à partir des années 1960–1970, prenne en compte les langues vernaculaires et la culture autochtone dans la perspective d’une totale décolonisation ? Il est légitime en effet de se demander si la critique politique du système scolaire en Nouvelle-Calédonie, à Hawaii et dans d’autres situations comparables ne porte pas davantage sur les initiatives récentes d’assimilation et/ou d’adaptation des autochtones à la société postcoloniale où ils se trouvent de fait inscrits que sur le régime antérieur de ségrégation pourtant beaucoup plus radical. Et M. Salaün de préciser : [End Page 804] « l’école mise en procès par la revendication autochtone à partir des années 1970, qualifiée d’‘école coloniale’, est moins l’héritière de la période coloniale que de celle qui lui succède à partir des années 1950 » (p. 17).

Bien des démocraties modernes traînent un passé colonial qui ne passe pas et nourrit ainsi la critique que leur adressent les descendants contemporains des anciens colonisés. En retour, ces démocraties affichent désormais des principes d’égalité et de non-discrimination qui vont à l’encontre des « droits collectifs » défendus aujourd’hui par les peuples autochtones. Comment inscrire ces droits exclusifs dans la constitution d’un État-nation composé de populations d’origine diverse ? Les droits collectifs ne font-ils pas planer en outre sur les droits de l’homme, qui protègent principalement l’individu, l’ombre d’abus de pouvoirs envers ce sujet singulier pensé comme libre et irremplaçable ? Cette tension traverse la question scolaire en Nouvelle-Calédonie. Faut-il, en effet, adapter l’école à l’exigence de reconnaissance de spécificités culturelles et linguistiques autochtones, au risque de perdre de vue l’objectif universaliste de l’éducation française moderne : proposer un bagage éducatif standard et équitable à tous les enfants de la nation, que celle-ci soit ou non multiculturelle ?

M. Salaün interroge l’ambition culturaliste qui voudrait charger l’école de tâches supplémentaires, celles de sauvegarder les langues et les cultures menacées, de réparer les torts de la colonisation et par-là, espère-t-on, de favoriser la réussite scolaire des élèves autochtones. Mais ces exigences se superposent difficilement au sein d’un projet...

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