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Reviewed by:
  • La grâce des juges. L’institution judiciaire et le sacré en Occident by Robert Jacob
  • Julie Claustre
Robert Jacob
La grâce des juges. L’institution judiciaire et le sacré en Occident Paris, Puf, 2014, 516p.

Cet essai lumineux, érudit et passionnant de Robert Jacob est le fruit de trois décennies de [End Page 765] travaux de cet historien du droit original à bien des égards. Spécialiste du Moyen Âge central et des espaces septentrionaux de l’Europe continentale, R. Jacob place cet ouvrage à une hauteur de vue rarement assumée par les historiens : il navigue des temps mérovingiens aux siècles modernes, de l’Angleterre à la Chine, sans s’interdire des incursions dans le monde de la Bible, en Amérique du Nord et dans l’Afrique contemporaine, et tient le triple pari du comparatisme, de l’anthropologie et de l’histoire. Il explore en neuf chapitres les rapports entre l’institution judiciaire et le sacré, interrogeant non seulement l’histoire de la justice et du droit, mais aussi celle de la liturgie, de la théologie, de l’Église, du pouvoir, de l’État et de la vérité, privilégiant l’examen des pratiques procédurales et des lexiques judiciaires à celui des doctrines juridiques. Bien qu’un propos aussi ambitieux et aussi dense soit difficile à résumer, son point de départ est l’idée que l’universalisation en cours du droit occidental se réalise en dépit des écarts qui le distinguent d’autres droits, comme celui de la Chine, et dans l’oubli de sa propre complexité comme de sa propre diversité. Cette idée est fondée sur un comparatisme diachronique et synchronique systématique, pour lequel l’auteur livre un vibrant plaidoyer.

L’axe central de l’argumentation consiste dans l’affirmation qu’en Europe, à partir des xiie et xiiie siècles, le surnaturel s’est retiré des cours de justice pour se réfugier au purgatoire, dans les confessionnaux et dans les supplices. En pays de procédure romano-canonique, l’adoption de la procédure d’enquête a mis fin à l’efficacité du rite judiciaire, laissant le juge dans une profonde solitude, aux prises avec sa conscience. En pays de common law, à l’inverse, l’exercice de la justice s’apparente à un rite processuel bien plus qu’à la production d’une vérité factuelle. L’ouvrage fait contraster ces deux types de véridiction à l’œuvre dans l’histoire de la justice européenne. Partant d’une origine commune, ils auraient divergé au cours du Moyen Âge.

L’auteur formule ainsi quelques idées qui devraient susciter bien des discussions. La première part du constat que, dans la mesure où le terrain d’élaboration de la procédure romano-canonique fut l’Église, ses biens et ses personnes, c’est du sein même de l’Église qu’a surgi le processus de distinction de la vérité des faits et de la vérité des rites, que l’on peut tenir pour une première laïcisation de la justice, laquelle se serait donc produite à l’acmé de la puissance ecclésiastique. La deuxième, tout aussi paradoxale, rappelle que c’est dans les pays où l’adhésion au rite judiciaire a été et reste la plus durable que l’efficacité des rites sacramentels a été le plus fortement remise en question, surtout par les protestantismes. La troisième, enfin, porte sur les rituels judiciaires du premier Moyen Âge, en particulier les ordalies, qui ne furent pas une parenthèse dans la marche que la rationalité juridique occidentale aurait accomplie entre l’Antiquité et la modernité, mais ont durablement imprégné les cultures juridiques européennes et sont au fondement de la sacralité de la fonction de juger dans celles-ci.

Reprenons pas à pas les principaux jalons de l’argumentation. La première moitié de l’ouvrage traite du point d’origine commun des traditions judiciaires occidentales : l’immanence d’une justice sacrée, la coïncidence entre l’acte de juger et l’œuvre divine. Le premier – et le plus long – chapitre traite de l’ordalie...

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