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Reviewed by:
  • Mes ego-histoires by Georges Duby
  • François Otchakovsky-Laurens
Georges Duby
Mes ego-histoires
éd. par P. Boucheron et J. Dalarun, Paris, Gallimard, 2015, 155 p.

À qui appartiennent les ego-histoires de Georges Duby ? Si ce dernier a écrit la majeure partie de son ouvrage publié dans la collection « Blanche » de Gallimard, on doit le pluriel et sans doute le possessif du titre à ses éditeurs, qui encadrent ces ego-histoires d’un appareil critique consistant – préface, postface, ainsi qu’une lettre de Pierre Nora datant de 1982, qui compte pour plus du tiers de l’ensemble. Grâce aux recherches de Patrick Boucheron et de Jacques Dalarun à l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), dépositaire du fonds Duby, deux variantes du même projet d’écriture sont proposées au lecteur : la version inédite rédigée à la troisième personne, puis celle où G. Duby parle de lui-même en employant le « je », déjà publiée en 1987 avec les ego-histoires de six autres historiens renommés, sur la commande de P. Nora. Simultanément, les mêmes auteurs font paraître un ouvrage collectif de réflexion autour des archives de G. Duby 1. Est également annoncée l’entrée prochaine de son œuvre complète dans la Pléiade, où il côtoiera Jules Michelet. C’est dire l’importance de l’historien, objet d’une campagne éditoriale d’ampleur vingt ans après sa disparition. Il s’agit donc ici autant, sinon davantage, de recenser une œuvre de G. Duby que le travail d’édition, de contextualisation et de mise en valeur historiographique entrepris par P. Boucheron, J. Dalarun et P. Nora.

La composition de l’ouvrage et son appareil critique reflètent l’évolution des préoccupations historiennes et éditoriales. Celui-ci symbolise la figure du grand historien, ce qui justifie cette réédition près de trois décennies plus tard. Dès les années 1980, G. Duby, professeur au Collège de France, consacré publiquement par ses succès de librairie et d’audience, est bien conscient de sa stature, au point de s’en trouver à la fois comblé et troublé : « fort sensible aux honneurs de cette espèce, il se surprend pourtant parfois à tenir pour un autre celui dont on parle autour de lui en prononçant son nom » (p. 66). Concluant ainsi sa première ego-histoire, G. Duby montre par cette capacité de distanciation, d’objectivation de sa propre personne, qu’il est devenu l’historien de lui-même. Pourtant, ce n’est pas cette version initiale de l’essai qui fut remise par l’auteur, mais une seconde plus explicite, moins épurée, à la saveur moins littéraire.

Trente ans plus tard, P. Boucheron lit dans l’abandon de la version la plus poétisée les embarras de la mémoire de l’historien, aux aspirations littéraires contrariées. Questionnant la logique intrinsèque des archives personnelles de G. Duby, il entend prouver que bien plus que l’artisan de lui-même, l’ego-faber qu’il prétend être, G. Duby est en fait un écrivain, un artiste dans la mouvance la plus contemporaine de son temps. Le soin méticuleux apporté à la conservation systématique de plusieurs versions successives de ses écrits, l’impressionnante capacité de l’auteur à se corriger, à « désécrire » pour atteindre une épure sans emphase, tout indique la constitution consciente d’une œuvre par un véritable egoarchiviste. Les éléments ne manquent pas à l’appui de cette idée, avant tout la qualité même de l’écriture d’une première version mêlant les parfums du Nouveau Roman à ceux de l’autofiction alors naissante. P. Boucheron [End Page 557] cite en outre avec précision nombre d’autres écrits archivés par l’auteur (correspondances, articles) et éclaire de façon convaincante ses nombreuses références intertextuelles ou ellipses volontaires (notamment sur son positionnement social ou en période de guerre).

Pour autant, quelle vérité ces archives nous livrent-elles ? La logique originelle de leur constitution est mal connue. Le classement...

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